05/02/2008
Cinéma: "It's a free world" de Ken Loach
La trentaine, belle fille, Angie ( Kierston Wareing) élève seule son fils Jamie et occupe un poste de cadre dans une société londonienne de services. Néanmoins, ses collègues masculins ont parfois la main leste avec elle, ce qui n’est pas pour la faire taire. Un matin, en arrivant à son bureau, elle apprend qu’elle est renvoyée. Cette mesure injuste la bouleverse un moment, mais c’est une battante et elle reprend vite le dessus. Une idée alors lui vient : pourquoi ne pas fonder sa propre agence d’intérim ? Les immigrés, qu’ils soient Polonais, Ukrainiens ou Irakiens, abondent dans les environs de Londres ; de quoi fournir une main d’œuvre bon marché aux usines qu’elle connaît bien. Là voici bientôt associée avec son amie Rose (Juliet Elis) pour cette moderne foire aux esclaves. Avec une logistique réduite au minimum, Angie recrute et jette à tour de bras ces réfugiés sans ressources qui lui laissent augurer des lendemains florissants. Et pourquoi pas, dans la foulée, créer des dortoirs et une cantine pour récupérer un peu de leurs misérables salaires ? Ou même leur monnayer de faux-papiers et faire expulser des familles aux abois pour installer ses propres baraquements dans leur camp ? Evidemment, tout ne se passera pas comme elle l’avait prévu. Et elle subira, en retour, la violence qu’elle a infligée aux autres.
Voilà le canevas du dernier film de Ken Loach qui revient, avec « It’s a free world » aux sujets sociaux (« Bread and roses », « The Navigators ») qui ont fait sa réputation de cinéaste. Cette histoire, que sa caméra nous raconte avec pertinence et sobriété, s’appuie sur des témoignages d’immigrés. Elle prend, cependant, le caractère d’une fable désenchantée sur les méthodes et le climat du néo-libéralisme (dont l’Angleterre reste le berceau, du moins pour l’Europe). C’est aussi le portrait sensible d’une femme moderne, avec sa farouche volonté d’indépendance, qui nous touche par sa justesse. Après tout, n’a-t’elle pas d’abord été victime de ce système qu’elle incarne avec outrance ? Mais la question principale est bien de savoir jusqu’où l’on peut aller dans le cynisme et l’inhumanité pour réussir matériellement dans cette société. Doit-on perdre l’estime de ses amis et de ses parents pour cela ? Et comment sortir de cet engrenage infernal ? La dernière scène laisse d’ailleurs penser qu’Angie, malgré ses déboires, ne s’est pas amendée, loin s’en faut.
Un film beau et dur sur un monde impitoyable : le nôtre.
Emma PEEL
19:21 Publié dans Numéro 4 | Lien permanent | Commentaires (0)
31/01/2008
Les tendances politiques à l'aune des neurosciences
Se peut-il que nos choix politiques résultent, au moins en partie, de nos différentes formes de fonctionnement cérébral ? C’est ce que David Amodio, professeur de psychologie sociale à la très sérieuse Université de New-York, a tenté de démontrer, le 29 octobre dernier. Pour cela, il a demandé à un panel d’étudiants, choisis pour leurs tendances politiques opposées, de se placer devant un écran d’ordinateur et de taper sur le clavier chaque fois que la lettre « M » apparaissait. En revanche, ils devaient s’en abstenir lorsque c’était un « W » - dont la graphie est, évidemment, celle du M mais à l’envers- qui s’affichait. Au final, ce test a fait ressortir la plus grande réactivité des étudiants de sensibilité démocrate (la gauche, aux USA) par rapport à leurs collègues républicains. Peut-on déduire, à partir de là, que les enfants vifs et extravertis deviendront plus tard des électeurs démocrates, tandis que ceux, plus lents ou franchement introvertis, iront rejoindre les rangs républicains ? Rien n’est moins certain, tellement les influences sociales sont nombreuses en cours de vie. Et c’est sans même parler des croisements possibles, comme des hommes de droite ayant un comportement de gauche. Aussi stimulante soit-elle, cette approche a, manifestement, un caractère réducteur, sinon partisan. Elle pose toutefois les conditions scientifiques d’un débat citoyen sur ce sujet sensible et c’est encore son plus grand mérite.
Jacques Lucchesi
16:42 Publié dans Numéro 4 | Lien permanent | Commentaires (0)
06/12/2007
La justice selon Rachida Dati
Le 23 septembre dernier, Rachida Dati était l'invitée de l'émission "Zone interdite" (sur M6) qui consacrait son dossier aux prisons françaises. C'est, nous le savons, un chantier particulièrement urgent auquel l'actuelle Garde des Sceaux entend apporter des réponses concrètes. Interrogée par la présentatrice sur sa conception des réformes juridictionnelles, la ministre lacha tout de go"La justice est là pour protéger.". Voilà, à priori, une affirmation qui a de quoi surprendre. La médecine et les services sociaux ont, indéniablement, pour mission de protéger la vie humaine. Même la police, du moins dans son aspect diurne, a pour tâche assignée la protection des citoyens. Mais la justice? N'a-t'elle pas pour vocation de juger des crimes et des délits? De déterminer et de faire appliquer des peines proportionnelles aux dommages causés? Certes et pourtant, à bien y réfléchir, il y a une vérité dans l'assertion ministérielle. Oui, la justice a pour but, également, de protéger le citoyen contre les abus du politique. Encore faut-il qu'elle puisse exercer sa mission en toute indépendance ! Qu'elle ne soit pas incitée secrètement à protéger le pouvoir en place. Ce qui est, aprés tout, une autre conception protectrice de la justice.
Erik PANIZZA
10:35 Publié dans Numéro 4 | Lien permanent | Commentaires (0)