26/09/2006
Edito
A ressasser toujours les mots de « peuple » et de « foule », on finirait par oublier que ces notions englobantes ne sont composées que d’individus et, concrètement , se ramènent toutes à eux. Ce sont bien, en effet, des hommes et des femmes qui, forts de leurs multiples différences, les animent et les nourrissent par leurs passions et leurs espérances. Sans ces existences singulières, sans leur prodigieuse vitalité musculaire, affective et intellectuelle, ces représentations d’ensembles frappés du sceau de l’anonymat retourneraient à l’état gazeux qui leur sied bien. Il n’y a pas , pour nous, d’homme universel, seulement des êtres humains distincts de tous les autres et revendiquant légitimement le droit à l’expression et à la vie.
Toute abstraction dûment ramenée à son origine immanente, rappelons que c’est pour des individus, pour des particuliers un peu perdus dans les méandres de l’actuelle société que nous écrivons ces lignes. C’est dans le particulier que nous plaçons nos attentes et nos espoirs. C’est lui que nous voulons défendre dans son combat contre les holdings qui ne voient en lui que le consommateur et le pressent comme un citron de tous côtés. C’est au particulier que nous voudrions redonner confiance – lui qui en manque si souvent – lorsqu’ il doit plaider justement sa cause auprés des grandes instances administratives. Non, le particulier n’est pas le dernier maillon de la chaîne sociale mais, au contraire, le premier et il doit faire valoir ses droits chaque fois qu’il subit un préjudice. « Le Franc-Tireur marseillais » n’a pas d’autre raison d’être et nous invitons ses lecteurs à redresser la tête. Qu’ils ne se gênent pas pour nous écrire et nous communiquer – certains l’ont déjà fait - ce qui fait problème dans leurs vies. Ainsi, nous parviendrons peut-être à faire reculer un peu l’indifférence et l’injustice qui nous menacent sans cesse. Y-a t’il un plus beau combat ?
Bruno DA CAPO
16:17 Publié dans Numéro 2 | Lien permanent | Commentaires (0)
Cinéma et politique : un parfum de renouveau ?
Quoique la passion – ou la défense – de la chose publique ait inspiré au cinéma quelques œuvres mémorables – « Le Dictateur » de Charlie Chaplin en est sans doute l’exemple le plus courageux - , le film politique reste une catégorie assez marginale de la production cinématographique. Cela s’explique, évidemment, par le caractère distrayant, à l’origine, du cinématographe, vocation à l’enchantement et à l’évasion qui relègue aux journaux et aux livres la nécessaire part de l’information et de la réflexion. De fait, rares sont les cinéastes – comme Costa-Gavras ou, plus récemment, Michael Moore - qui ont bâti avec succés leur carrière sur des films dénonçant les turpitudes du monde politique. Mais il faut aussi compter en termes de périodes et il semble que les premières années du XXIeme siècle soient plutôt favorables à ce retour d’affection entre le cinéma et la politique. En décernant, cette année, la Palme d’Or à Ken Loach et à son film « Le vent se lève », le jury cannois a encore donné le ton . Pourtant, c’est sur deux autres films (également sortis en ce printemps 2006) que cette chronique veut s’attarder.
Le premier est le film de l’ex-animateur du « Vrai faux journal », Karl Zéro, « Dans la peau de Jacques Chirac ». Entièrement réalisé à partir d’archives de l’INA, ce coup de poker – Karl Zéro a énormément misé sur lui – s’avère, au final, un petit bijou de dérision et de satire du pouvoir. Dans ce portrait en forme de puzzle , Jacques Chirac – toujours Président de la République Française, faut-il le rappeler ? – y apparaît comme un homme volontaire, séducteur, cynique et un rien désabusé. Car le pouvoir qu’il a tant désiré finit toujours par l’encombrer une fois qu’il l’a conquis – d’où sa délégation à des premiers ministres qui paient l’addition pour lui. L’effet comique vient ici du commentaire et de l’imitation présidentielle assurée par Didier Gustin mais surtout d’un montage qui met Chirac face à ses contradictions succéssives. « Un homme politique ne démissionne pas . » Disait-il crânement en 1975, lorsqu’il était premier ministre de Giscard d’Estaing. On sait ce qu’il advint moins de six mois après. Certes, Karl Zéro ne manque pas de causticité dans son propos ; mais on sent bien , en filigrane, sa sympathie pour le président qu’il portraiture. Du reste, ce pamphlet arrive alors que Chirac est en fin de règne et qu’il n’a plus rien à briguer ou à prouver. Et l’on se demande in fine s’il aurait pu sortir ce film seulement cinq ans plus tôt.
Au contraire du premier, « Le caïman » de Nanni Moretti faisait partie de la sélection cannoise. Sa trame est constituée par le vieux thème du film dans le film. Une jeune écrivaine propose à un cinéaste en bout de course un scénario ouvertement inspiré par l’irrésistible ascension de …Silvio Berlusconi. A l’enthousiasme du début succèdent vite les premières palinodies… Comme toujours, chez Moretti, le récit s’articule sur un fond de crise subjective : ici, c’est celle que vit le cinéaste en question , tant dans sa carrière que dans son mariage. Mais d’autres pistes de réflexions surgissent vite, en particulier la difficulté de monter un film basé sur le scénario d’un(e) inconnu(e), ce qui est loin d’être une exception transalpine. Finalement, il se fera , mais avec de lourdes coupes. Et ce sera Moretti lui-même qui endossera la peau écaillée de ce « caïman » qui a l’art, comme son modèle, de retourner l’opinion en sa faveur, ainsi que le montre la scène finale du jugement. Malgré un charme indéniable, le film de Moretti enfonce doublement des portes ouvertes : d’une part en dénonçant des agissements que tout le monde, ou presque, connaît, de l’autre en arrivant sur le marché après que Berlusconi ait perdu son autorité gouvernementale. D’un strict point de vue politique, on lui préfère de beaucoup le virulent « Viva Zapatero » de l’humoriste Sabina Guzzanti, sorti l’hiver dernier dans nos salles et dont le caractère anti-berlusconnien lui a valu pas mal d’embûches en Italie. Mais, quoiqu’il en soit de leur charge critique, ces films n’en restent pas moins des lueurs apparues dans l’espace démocratique , en une époque qui ne favorise guère le débat citoyen. Ils sont porteurs, chacun à leur manière, d’une petite espérance même si, comme on le sait, une hirondelle ne fait pas le printemps.
Phil BERNSTEIN
16:15 Publié dans Numéro 2 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/03/2006
Caricatures de Mahomet : un choc des cultures ?
L’affaire des caricatures de Mahomet et la vague de protestations qu’elle a soulevée dans les pays musulmans obligent forcément le monde occidental à se re-poser la question de la liberté d’expression, surtout quand elle touche au domaine religieux . Celle-ci est inscrite au fronton de nos sociétés laïcisées ; mais des principes à leur mise en œuvre, il y a un clivage de plus en plus prononcé. Par crainte de nouveaux déchaînements, bien des créateurs risquent de s’interdire d’exprimer certaines idées ou images en rapport avec l’Islam. Et s’ils passent outre, ils seront rappelés à l’ordre – c’est à dire censurés – par ceux ( éditeurs ou organisateurs d’expositions) qui devraient pourtant les servir, comme ce fut le cas récemment à Berlin, avec une oeuvre du sculpteur Gregor Schneider. Où se situe à présent la frontière entre la plaisanterie et le blasphème ? Dans les pays musulmans, il tombe toujours sous le coup de la loi et il est même durement réprimé. Mais en France, en Allemagne, en Espagne, au Danemark ? Doit-on le réintroduire frileusement dans nos textes juridiques, comme ce fut le cas jusqu’au XVIIIeme siècle, quand l’église catholique était encore une instance de pouvoir ? Dans ce cas, que resterait-il de nos valeurs républicaines ? Ou va-t’on clairement réaffirmer nos spécificités législatives, morales et historiques pour prévenir toute assimilation abusive entre la société civile et l’Etat ? L’enjeu, comme on le voit, est de première importance.
Il n’empêche que le modèle de laïcité à la française - qui met l’accent sur l’intégration et l’acceptation tempérée des différents cultes – fonctionne de moins en moins bien. Dans le contexte actuel, les communautés ethniques et religieuses tendent à revendiquer un statut spécial à l’intérieur du cadre républicain commun. De toutes les religions établies en France, l’Islam est, à l’évidence, la plus sensible et ce n’est pas, bien sûr, qu’une affaire religieuse. En soi, l’Islam n’est pas menaçé ( et encore moins persécuté ) par la République. Or, une partie de l’opinion musulmane – la plus minoritaire mais aussi la plus extrémiste – s’emploie à le faire croire à la majorité paisible des musulmans. Sous couvert de respect religieux, elle sape et attaque, chaque fois que l’occasion s’en présente, les valeurs occidentales. Ce sont elles, en effet, que haïssent les intégristes, entretenant la confusion entre Islam et islamisme. Le second est pourtant à la première ce que pourrait être l’eugénisme racial du XXeme siècle à la théorie darwinienne de l’évolution des espèces : une idéologie meurtrière. Cette situation, qui s’est accentuée au tournant des années 2000 avec les attentats de New-York puis la riposte américaine en Afghanistan et en Irak, vient d’une époque bien plus lointaine. Elle a partie liée avec notre passé de pays colonialiste. Dans la mesure où la France doute de ses propres valeurs ; dans la mesure où elle reconnaît avec sincérité les profits qu’elle a pu réaliser sur le dos de ses anciennes colonies, alors de tous côtés les descendants des colonisés protestent et font entendre leur droit à la différence. Ils ne le font plus à travers un parti politique , comme dans les années 60, mais à travers la religion de leurs aïeux ( qu’ils veulent ainsi venger ). A ceci prés que ce n’est plus de l’Islam originel qu’il est question , mais d’une religiosité dévoyée dans la politique et ouvert sur le pire fanatisme.
Allons-nous vers un choc des civilisations, selon le concept cher à Hutinghton ? Ou assistons-nous, du moins en France, à ce qu’on pourrait appeler un retour du refoulé, par comparaison avec la théorie freudienne des névroses ? A chacun d’en décider et de se positionner d’une façon , nous l’espérons, qui ne cède pas à l’intolérance et aux amalgames stupides.
GORGE PROFONDE
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