26/09/2006
Cinéma et politique : un parfum de renouveau ?
Quoique la passion – ou la défense – de la chose publique ait inspiré au cinéma quelques œuvres mémorables – « Le Dictateur » de Charlie Chaplin en est sans doute l’exemple le plus courageux - , le film politique reste une catégorie assez marginale de la production cinématographique. Cela s’explique, évidemment, par le caractère distrayant, à l’origine, du cinématographe, vocation à l’enchantement et à l’évasion qui relègue aux journaux et aux livres la nécessaire part de l’information et de la réflexion. De fait, rares sont les cinéastes – comme Costa-Gavras ou, plus récemment, Michael Moore - qui ont bâti avec succés leur carrière sur des films dénonçant les turpitudes du monde politique. Mais il faut aussi compter en termes de périodes et il semble que les premières années du XXIeme siècle soient plutôt favorables à ce retour d’affection entre le cinéma et la politique. En décernant, cette année, la Palme d’Or à Ken Loach et à son film « Le vent se lève », le jury cannois a encore donné le ton . Pourtant, c’est sur deux autres films (également sortis en ce printemps 2006) que cette chronique veut s’attarder.
Le premier est le film de l’ex-animateur du « Vrai faux journal », Karl Zéro, « Dans la peau de Jacques Chirac ». Entièrement réalisé à partir d’archives de l’INA, ce coup de poker – Karl Zéro a énormément misé sur lui – s’avère, au final, un petit bijou de dérision et de satire du pouvoir. Dans ce portrait en forme de puzzle , Jacques Chirac – toujours Président de la République Française, faut-il le rappeler ? – y apparaît comme un homme volontaire, séducteur, cynique et un rien désabusé. Car le pouvoir qu’il a tant désiré finit toujours par l’encombrer une fois qu’il l’a conquis – d’où sa délégation à des premiers ministres qui paient l’addition pour lui. L’effet comique vient ici du commentaire et de l’imitation présidentielle assurée par Didier Gustin mais surtout d’un montage qui met Chirac face à ses contradictions succéssives. « Un homme politique ne démissionne pas . » Disait-il crânement en 1975, lorsqu’il était premier ministre de Giscard d’Estaing. On sait ce qu’il advint moins de six mois après. Certes, Karl Zéro ne manque pas de causticité dans son propos ; mais on sent bien , en filigrane, sa sympathie pour le président qu’il portraiture. Du reste, ce pamphlet arrive alors que Chirac est en fin de règne et qu’il n’a plus rien à briguer ou à prouver. Et l’on se demande in fine s’il aurait pu sortir ce film seulement cinq ans plus tôt.
Au contraire du premier, « Le caïman » de Nanni Moretti faisait partie de la sélection cannoise. Sa trame est constituée par le vieux thème du film dans le film. Une jeune écrivaine propose à un cinéaste en bout de course un scénario ouvertement inspiré par l’irrésistible ascension de …Silvio Berlusconi. A l’enthousiasme du début succèdent vite les premières palinodies… Comme toujours, chez Moretti, le récit s’articule sur un fond de crise subjective : ici, c’est celle que vit le cinéaste en question , tant dans sa carrière que dans son mariage. Mais d’autres pistes de réflexions surgissent vite, en particulier la difficulté de monter un film basé sur le scénario d’un(e) inconnu(e), ce qui est loin d’être une exception transalpine. Finalement, il se fera , mais avec de lourdes coupes. Et ce sera Moretti lui-même qui endossera la peau écaillée de ce « caïman » qui a l’art, comme son modèle, de retourner l’opinion en sa faveur, ainsi que le montre la scène finale du jugement. Malgré un charme indéniable, le film de Moretti enfonce doublement des portes ouvertes : d’une part en dénonçant des agissements que tout le monde, ou presque, connaît, de l’autre en arrivant sur le marché après que Berlusconi ait perdu son autorité gouvernementale. D’un strict point de vue politique, on lui préfère de beaucoup le virulent « Viva Zapatero » de l’humoriste Sabina Guzzanti, sorti l’hiver dernier dans nos salles et dont le caractère anti-berlusconnien lui a valu pas mal d’embûches en Italie. Mais, quoiqu’il en soit de leur charge critique, ces films n’en restent pas moins des lueurs apparues dans l’espace démocratique , en une époque qui ne favorise guère le débat citoyen. Ils sont porteurs, chacun à leur manière, d’une petite espérance même si, comme on le sait, une hirondelle ne fait pas le printemps.
Phil BERNSTEIN
16:15 Publié dans Numéro 2 | Lien permanent | Commentaires (0)
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