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13/02/2012

Supplément au voyage (ultime) de Monsieur Guéant

 

 


Notre ministre de l’Intérieur a fait plus qu’une boulette : il s’est aventuré sur un terrain qu’il ne semble pas connaître. On croit savoir pourquoi il manipule de tels concepts avec désinvolture, pour ne pas dire avec autant d’inconséquence que d’ignorance. L’électoralisme a bien sûr ses limites. Ici, monsieur Guéant joue avec de la dynamite. A son niveau (mais quel est-il au juste ?) on ne parle pas de civilisations en opposant les unes aux autres. Car ce serait prétendre qu’une civilisation n’existe qu’en autarcie, que prospérant sur ses propres valeurs. Absurde ! On ne peut opposer les civilisations puisque chacune se nourrit des autres, qu’elle s’en inspire et s’en imprègne. L’Occident ne s’est développé que grâce aux grands navigateurs comme Gama et Colomb dont les navires sont revenus non seulement les soutes pleines d’or mais avec des croquis, des cartes, des relevés ; des boutures et des graines ; des carnets de voyage, bourrés de notations et de dessins sur les mœurs, les coutumes, les croyances, le savoir, l’art de vivre des peuples rencontrés. La Chine, le monde arabo-musulman, les Amériques, l’Océanie ont été des viviers formidables de rêves, de désirs et d’actions qui, toutes hélas, n’ont pas été franchement exemplaires. N’empêche ! Nous nous sommes abreuvés aux mondes qui n’étaient pas le nôtre. La connaissance a su faire son chemin grâce aux voies maritimes que le commerce avait ouvertes. Des influences diverses ont façonné ce que nous sommes. Affirmer donc que notre civilisation est supérieure à d’autres est aberrant. L’interpénétration s’est faite quoiqu’on puisse dire ; et la grandeur d’une civilisation est bien de reconnaître les apports, les emprunts, les influences d’autres conceptions du monde qu’elle a su accepter. Quand donc Monsieur Guéant aura rejoint les oubliettes de l’Histoire, il devra lire (je n’ose écrire relire) Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle et surtout méditer le saisissant et très profond Supplément au voyage de Bougainville de Diderot. Peut-être comprendra-t-il alors combien ses théories fumeuses sur les civilisations furent non seulement idiotes mais exécrables.

                                                     Yves CARCHON

12:22 Publié dans Numéro 8 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : guéant, gama, colomb, diderot

08/02/2012

Bruissements (4)

 

                            

 

 

Farine : on se souvient sans doute que le Belge Noël Godin s’était fait une spécialité de l’entartage médiatique, faisant gouter abruptement ses vacherins à bien des personnalités en vue (comme Bill Gates ou BHL). Las ! François Hollande, lors de son récent meeting à Lille, n’a pas bénéficié d’un tel traitement gastronomique. C’est juste l’ingrédient – la farine – et non la pâtisserie consommable qu’il a reçu en pleine poire  - d’ailleurs avec un fair-play qui force l’admiration. Est-ce que son « agresseuse » - maitrisée manu militari par ses gardes du corps – voulait signifier ainsi que le candidat socialiste roulait les Français dans la farine ? Nous n’irons pas jusque là. Mais cet attentat tragi-comique repose le problème de la protection rapprochée des hommes politiques qui se détachent du rang. Exception faite, bien entendu, du président sortant, lequel bénéficie, là aussi, des moyens de l’Etat lorsqu’il va à la rencontre des Français. De quoi discourir tranquillement, du moins jusqu’en mai prochain.

 

Censure : en 1982, on pouvait reluquer avec curiosité l’affiche de « Paradis pour tous » d’Alain Jessua dans tous les tableaux d’affichage de nos cinémas. Rappelons qu’on y voyait la tête du regretté Patrick Dewaere entre deux (jolis) pieds renversés de femme. L’équipe des « Infidèles » a-t-elle songé à lui redonner une seconde jeunesse avec, cette fois, Jean Dujardin dans une posture assez comparable ? Toujours est-il qu’elle a choqué quelques prudes âmes qui ont aussitôt avisé l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité pour la faire disparaître (avec une autre tout aussi suggestive) de notre paysage urbain. La mesquinerie de leurs arguments (machisme, sexisme, dégradation de l’image de la femme) pour exercer leur droit de censure est, elle aussi, renversante. Une seule consolation : ce puritanisme nauséabond servira encore une fois le « vice » qu’il voulait combattre.

 

Fichage : ah ! Si Alphonse Bertillon – créateur, à la fin du XIXeme siècle, de l’anthropométrie – avait eu à sa disposition les moyens de Claude Guéant… La proposition de loi pour une carte d’identité biométrique, présentée à l’Assemblée  Nationale le 31 janvier dernier, pourrait bien, si elle était adoptée en novembre 2012, lui donner les moyens – ou plutôt à son successeur – d’un fichage généralisé des Français, délinquants ou pas. Au motif de les protéger contre les escrocs et les voleurs d’identité, leurs données personnelles seraient  versées dans un unique fichier central (TES), à disposition permanente du Ministère de l’Intérieur. Ainsi, on pourrait à peu près tout savoir des goûts et habitudes du citoyen lambda. Si le Sénat et le Conseil d’Etat sont opposés à une pareille indistinction, les membres de l’actuel gouvernement s’en réjouissent, bien sûr. Une mobilisation de tous les acteurs politiques et associatifs est absolument nécessaire pour faire rectifier, d’ici la fin de l’année, ce projet orwellien. Sans cela, il se pourrait bien que notre vertueuse loi de 1978 sur l’informatique et les libertés ne puisse plus rien pour nous.

 

Civilisations : le même Claude Guéant, on le sait maintenant, est également un disciple de Samuel Huntington - l’auteur controversé du « Choc des civilisations ». En déclarant, la semaine dernière, que « toutes les civilisations ne se valent pas », il visait ouvertement la gauche française soupçonnée de relativisme culturel. Ce faisant, son pavé dans la mare a fait encore plus de remous qu’il n’en espérait puisque, mardi 7 février à l’Assemblée National, le député martiniquais (apparenté socialiste) Serge Letchimy l’a ouvertement accusé de complicité intellectuelle avec « ces idéologies européennes qui donné naissance aux camps de concentration ». Du coup, le groupe gouvernemental indigné, François Fillon en tête, s’est levé comme un seul homme et a déserté l’hémicycle, entrainant  la clôture de la séance. On n’en demandait pas tant, dans le camp socialiste, lui qui sait depuis longtemps qu’on n’est jamais si bien desservi que par les siens.  

 

Signatures : A chaque élection présidentielle, c’est la même attente, pour tous les petits candidats, des fameuses 500 signatures de maires. Sans elles, pas moyen de se présenter à la magistrature suprême et de jouer un moment dans la cour des grands. On peste après le blocage prétendument organisé en haut lieu. On réclame plus de proportionnelle pour avoir une alternative à la logique bi-partisane qui règne dans cette république. Revendications, certes, justifiées au regard de l’éthos démocratique. Mais revendications subjectives, aussi, car c’est davantage une affaire d’égos que d’égaux. On veut y participer quand on s’appelle Boutin, Morin, Villepin ou Schivardi, quitte à faire au mieux 1%. C’est peut-être un peu différent pour les Poutou, Arthaud et Joly qui sont poussés par leurs partis respectifs dans cette valse de pantins. Il y a, bien sûr, le cas « Marine Le Pen » et force est de constater qu’elle ne joue plus dans cette catégorie. Elle se rêve, bien sûr, en nouvelle égérie républicaine mais, signatures ou pas, il y a – heureusement-  encore loin de la coupe aux lèvres pour elle. Reconnaissons-le une fois pour toutes : le jeu électoral français se joue à quatre, cinq candidats tout au plus, chacun représentant un aspect, opposé et complémentaire, de la droite et de la gauche. Il n’y a vraiment pas besoin d’en introduire dix ou quinze autres, car cette cacophonie nuirait finalement à l’alternance démocratique. Nous ne voulons plus d’un « 21 avril 2002 » et il va falloir se résigner à voter utile. Cela peut paraître frileux mais c’est ainsi.

 

 

                                Erik PANIZZA

06/02/2012

LE CUIRASSIER HOLLANDE

 

 

 

Le discours du Bourget, le duel gagné contre Juppé à la télé, le rythme qu’a adopté le candidat Hollande : cette fois ça y est, on est dans la campagne ! En creux, la contre performance de Sarkozy dimanche dernier donne un peu plus de poids au candidat de gauche. Evidemment, rien n’est encore joué et Hollande a raison de se garder de croire que les carottes sont cuites. Ou, tout du moins, de l’afficher. On a senti cette semaine un allant prometteur, une sorte de course au pas de charge menée avec confiance vers les marches du pouvoir, une montée en puissance et une jubilation chez nombre de militants.  La bonne posture d’Hollande est de dire, répéter que « Sarkozy est derrière nous », manière de se positionner dans une alternative conquérante et non d’exister contre. De proposer, ce qu’il a fait, une liste d’engagements qui resteront les bases de sa campagne tout au long du parcours. « Derrière nous » veut aussi dire : tournons la page et allons de l’avant. Dans cette bataille, on peut miser qu’il devra faire face à un tir de barrage des ténors de la droite, avec coups bas, injures et insinuations. Mais Hollande s’est bardé d’une cuirasse (sans bouclier discal), il sait que l’adversaire qui s’agrippe aux  manettes et qui « moment venu, ne se dérobera pas » ne le ménagera pas. Bien au contraire ! Peut-être même rêvera-t-il de le pendre à un croc de boucher ? Sarkozy n’est meilleur que lorsqu’il défouraille, ferraille, bataille. Hollande est exemplaire dans la parade, l’esquive, la contre-attaque. Au deuxième tour, on peut s’attendre à un combat digne du grand Homère. Mais au-delà de « l’esthétique de la campagne », il y a les vrais enjeux. Chômage, misère, logement, éducation, recherche : voilà les gants que le candidat de la Gauche devra vaillamment relever quand il sera élu. Sans oublier les choix énergétiques, la moralisation de la Finance, l’abolition des privilèges, l’immigration sans reconduite brutale à la frontière... tant de chantiers qu’il lui faudra ouvrir. Pour l’heure, ses troupes sont en rang de bataille, avec un Mélenchon sur l’aile gauche qui, n’en déplaise à ceux qui voteront « utile », fait un travail de fond de rabatteur qui servira dans le combat final à donner l’estocade. Et à rendre à la Gauche la niaque qui lui manque !


                                                     Yves CARCHON