Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/04/2015

Les ailes d’Erostrate

                                

 

 L’une des deux boites noires de l’A320 de la Germanwings a parlé. On en sait un peu plus sur les causes de cet épouvantable crash aérien dans les Alpes, mercredi 25 mars. Ce n’était donc pas une défaillance technique si redoutée des compagnies aériennes. C’était une défaillance encore moins détectable : une défaillance humaine. Pas de revendication mystico-politique dans le geste fou d’Andreas Lubitz, le co-pilote de 27 ans responsable de cette catastrophe. Mais un état dépressif récurrent redoublé par une mégalomanie galopante. N’avait-il pas déclaré à sa petite amie : « un  jour, je ferai quelque chose qui changera le monde. ». Oui, il savait très bien ce qu’il pouvait attendre d’un suicide transformé de fait en meurtre de masse. Et, en cela, il est pleinement coupable d’un massacre à jamais impardonnable.

Cette  recherche effrénée de la célébrité – on la retrouve de façon diffuse, dans toutes les couches de la société actuelle – a, en soi, quelque chose d’inquiétant. Jusqu’où peut-on aller pour que le monde parle de vous ? C’est la question que cette tragédie pose à notre système médiatique, toujours à l’affut du sensationnel. Lui qui, faute d’évènements sublimes, fait ses choux gras de l’outrance et de l’horreur. Qu’importe le contenu moral véhiculé par telle ou telle action ! L’essentiel est qu’on l’amplifie et qu’on la commente jusqu’à l’écoeurement. En d’autres temps - plus sévères que le nôtre -, on aurait tu le nom d’Andreas Lubitz, on aurait tenté d’étouffer jusqu’à son moindre souvenir. Aujourd’hui, il est dans tous les journaux, sur toutes les chaines de télé et toutes les stations de radio. On épluche les moindres détails de sa vie pour les donner en pâture au public qui veut comprendre comment il a pu concevoir un plan aussi démentiel. Pour peu, on serait presque indulgent avec ce pauvre garçon si tourmenté. Mais quid de ses 149 victimes ? En cela, il a réussi son abominable pari. Tout comme d’autres grands criminels avant lui, tous  portés par le même désir immodéré de renommée. De cette famille-là, on peut dire qu’Erostrate – l’incendiaire revendiqué du temple d’Artémis à Ephèse, au 4eme siècle avant notre ère – est l’ancêtre tutélaire. Mais qu’est-ce que  sa célébrité au regard de celle d’un Platon ou d’un Archimède ? N’est-elle pas l’antithèse de la gloire issue du génie personnel dans un art ou un autre ? Car si la vieille distinction entre le bien et le mal s’est fortement délitée, elle n’a pas complètement disparu de l’esprit humain. Pour la plupart d’entre nous, heureusement, un anonymat paisible vaudra toujours mieux qu’une infamie maquillée en célébrité. Celle d’Andreas Lubitz est toute momentanée. Elle passera avec l’actualité qui se chargera vite de lui substituer, hélas, d’autres crimes, d’autres drames aussi monstrueux. Lui qui voulait changer le monde aura réussi, tout au plus, à entrainer une augmentation des dispositifs de sécurité à bord des avions. On aurait pu parvenir au même but par des voies moins violentes.

     

                    Jacques LUCCHESI

Les commentaires sont fermés.