27/02/2015
N’est lutteur qui veut
(NDLR : fidèle à sa vocation collective, le Franc-Tireur marseillais a invité Aziz Zaâmoune, journaliste et poète marocain, à nous communiquer des éclairages sur la société marocaine actuelle. Qu’il en soit vivement remercié. Où l’on voit que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.)
La lutte contre la corruption et la moralisation de la vie publique, le débat en est à son paroxysme au Maroc. Et chacun des protagonistes, État, partis politiques et société civile, de vouloir en accaparer quelque mérite, si mérite il y a. Or, apathie des pouvoirs publics à prendre réellement les choses en main, partis politiques éclaboussés par les « affaires » et bidouillage inoffensif de la société civile ici, sont autant de motifs de blocage et donc d’enlisement irrémédiable.
Ceci pour le synoptique d’un mal qui ronge tout un pays.
Maintenant, qu’en est-il de l’autre corruption, dans son entendement initial, la corruption du jugement et du bon sens ? « La question n’a pas lieu d’être posée dans le cas de cette frange de la société civile faisant de la lutte contre la corruption sa seule et unique raison d’être ». Vous expliqueraient très doctement ses illustres représentants. Et pour cause, " ça coule de source. L’astreinte aux règles de la morale, c’est le socle sur lequel repose tout acte associatif militant, le principe même, le point de départ et d’arrivée… ".
Voyons voir !
Transparency Maroc, une start-up de la société civile porte fanion de la lutte contre la corruption et la moralisation de la vie publique, vient de recruter un nouveau chef de projet en lieu et place du précédent qui a quitté avant terme -sans que personne ne sache pourquoi.
Celui-ci, tout heureux d’être associé à cette noble cause, prend à cœur ses nouvelles fonctions, notamment l’aspect consulting, comme spécifié dans les termes de son contrat.
Mal lui en prend, il est vite rappelé à l’ordre, son rôle doit se limiter à la simple transcription de ce qu’on lui dicte, sans plus. Quant à son avis, son contrat, ses termes et tout ce qui va avec, il peut toujours les ranger là où il veut.
Chemin faisant, à cette même personne on demande de piloter, parallèlement, un autre projet en devenir, dans le cadre d’un appel à proposition émis par un important bailleur de fonds européen. Le consultant s’y investit comme il se doit, nourrissant quelque espoir légitime -d’autant que son projet initial touche à son terme.
Ce fut avec bonheur, puisque ficelé comme il se doit, le dossier de candidature sera sélectionné et certainement retenu au final, étant le seul à avoir réussi son examen de passage lors de cette étape de sélection.
Donc, nouvelles perspectives et nouvelles tâches à accomplir pour finaliser le dossier. Là aussi, le consultant en question s’en acquitte honorablement, assisté en cela par un comité de suivi de l’association. Sauf qu’à l’orée de la présentation du dossier, petit coup de théâtre, le projet sera retiré de son ayant-droit légitime et octroyé à une autre personne dont le seul et unique mérite est sa « proximité » avec le Bureau, sans plus. Et puisque le Bureau a dit, tout le monde dira aussi, dans une parfaite symbiose…
Et pour sceller tout cela, ce même Bureau provoquera une réunion « plénière », l’objet étant de faire, en mode très doc, le « procès » du travail accompli par notre ami le consultant.
Celui-ci a beau se défendre, argumentaire à l’appui, la sentence était déjà tombée : débarquement immédiat séance tenante, débarquement immédiat sur toute la ligne.
Du Kafka tout craché…
Sauf que parfois dans ce milieu, la réalité est encore plus belle que la fiction.
Aziz Zaâmoune
15:22 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maroc, corruption, start-up, consulting
24/02/2015
Peut-on réformer le pays ?
La majorité présidentielle a explosé en vol suite au passage en force par l’article 49.3 de l’adoption de la loi Macron. Certes la motion de censure a été rejetée. Doit-on pour autant faire comme si rien ne s’était passé ? Non, bien sûr. Les divisions, déjà anciennes à gauche, ont ici éclaté au grand jour. Le gouvernement Valls et le Président s’en trouvent donc affaiblis. Peut-on s’en réjouir ? Ce serait malvenu quand on sait que cette loi, quoique composée de multiples réformettes, va plutôt dans un sens positif. Les crispations sur nos acquis semblent néanmoins l’emporter. Nos députés font remonter ce qui se dit sur le terrain et ne traduisent que la photo de leur circonscription. Voilà donc où en sont les Français : ils semblent vouloir que le gouvernement procède à des réformes de fond sans pour autant changer grand-chose à ce à quoi ils tiennent. On parle souvent de l’exception française : autrement dit, on peut certes réformer sans néanmoins toucher à des secteurs comme la santé, l’éducation, les aides sociales ou la sécurité — j’en passe évidemment. Et c’est bien là que le bât blesse. Les Français sont-ils donc schizophrènes au point de déclarer être pour la réforme tout en freinant des quatre fers en pensant le contraire ? Notre vie politique n’en est pas moins malade et avec elle notre démocratie. Après les zizanies et désaccords qu’a connus et que vit encore l’UMP, parti d’opposition censé donner des solutions aux problèmes de la France, voilà que le PS verse à son tour dans le chaos ! Ce qu’il faut craindre, c’est que le populisme gagne du terrain, se nourrissant des impuissances des deux partis dits de gouvernement et que toutes les réformes attendues soient diluées bientôt dans un salmigondis réactionnaire.
Yves CARCHON
17:18 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : macron, réformettes, zizanies, salmigondis
20/02/2015
Bruissements (46)
Copenhague : stupéfaction au Danemark ou un pseudo djihadiste de 22 ans a ouvert le feu, samedi 14 février, sur un centre culturel, à l’occasion d’une conférence sur la liberté d’expression à laquelle participait Lars Vilks, l’auteur des caricatures de Mahomet en 2005. Un réalisateur de 55 ans a ainsi été tué. Un peu plus tard, le tueur présumé s’en est pris à une synagogue, blessant mortellement son gardien de 37 ans avant d’être lui-même abattu par la police devant son domicile, dimanche au petit matin. L’enquête, depuis, suit son cours et deux complices du meurtrier ont été arrêtés. Un mois après les attentats de Paris, le scénario du loup solitaire se répète dans un pays européen. Nous connaissons maintenant leurs cibles potentielles : les intellectuels et artistes laïques, les israélites et les musulmans modérés (requalifiés d’ «apostats » par ces fanatiques). Ce nouvel attentat vient nous rappeler le caractère épars et imprévisible de cette guerre que l’obscurantisme le plus sinistre a déclaré aux valeurs occidentales. Nous sommes tous concernés.
Profanation : on peut également se demander comment l’antisémitisme le plus sordide peut trouver un tel écho, avoir de tels relais dans notre pays en 2015. Tout se mélange dans la tête de certains jeunes pour qui l’histoire n’est plus que la servante d’une classe politique abhorrée. Les cinq jeunes imbéciles qui ont profanés 250 tombes du cimetière juif de Sarre-Union (Alsace), dimanche dernier, en sont, hélas, la preuve vivante. Qu’est-ce que peut signifier la Shoah, le respect de l’autre, le sens du sacré pour eux ? Rien du tout, à l’évidence. Avec un peu plus d’éducation, ils n’auraient sans doute jamais pu commettre un acte aussi ignoble. Il est vrai que ce type de vandalisme s’est banalisé depuis quelques temps. Et il n’épargne pas les cimetières chrétiens qui sont de loin les plus nombreux à subir ce genre de dégradations. Pauvre France.
Chine : que se passe-t’il, actuellement, en Chine ? Il semble que son président Xi-JinPing a décrété une lutte sans merci contre la corruption. Et comme ici, on aime bien les métaphores, on désigne les réprouvés par les doux noms de « tigres » et de « mouches ». Les « tigres », ce sont les hauts dirigeants qui se sont enrichis sans scrupules sur le dos du peuple; les « mouches », ce sont tous les subalternes qui encaissent des pots-de-vin pour attribuer un emploi, une place dans une école ou permettre la réalisation d’un projet. Même à l’échelle de la Chine, ça représente pas mal de monde : ainsi, 68 cadres du parti, 15 généraux et 68 000 lampistes ont été arrêtés ces derniers mois. La semaine dernière, cinq d’entre eux ont été exécutés, dont le milliardaire de l’industrie minière Liu Han. Comment ne pas songer aux vieilles méthodes maoïstes qui aboutirent, en 1966, à la tristement célèbre « révolution culturelle » ? Car le libéralisme n’a jamais été, en Chine, synonyme de démocratie.
Ukraine : la situation n’est pas plus réjouissante dans l’est de l’Ukraine, où les combats entre l’armée régulière et les séparatistes pro-russes n’en finissent pas. On croyait pourtant à la force de la diplomatie et au cessez-le feu bilatéral au lendemain des accords de Minsk 2. Il n’en est rien, tout au contraire, puisque les affrontements se sont intensifiés depuis ce 15 février - qui devait pourtant marquer le début de la trêve. Pris dans une spirale infernale, les rebelles (avec l’aide militaire de Moscou) n’ont pas cessé de bombarder la ville de Debatseve, au point d’en faire fuir les troupes ukrainiennes. Donetsk et surtout le port de Marioupol pourraient être leurs prochaines prises. D’ores et déjà, Petro Porochenko a demandé à l’ONU l’envoi d’une force internationale pour assurer la surveillance des frontières russo-ukrainiennes. Si le double-jeu de Poutine se poursuit, on ne voit pas comment le président ukrainien pourrait repousser la proposition de soutien logistique émise par Washington voici une quinzaine de jours. Dans ce cas, le pire deviendrait possible.
Marseille : à Marseille aussi les armes ont parlé, quoique d’une façon beaucoup plus limitée. Sans doute pour saluer la venue de Manuel Valls, les 9 et 10 février, d’autres insurgés s’en sont pris, à coups de kalachnikov, aux policiers qui surveillaient la cité de la Castellane. Pas de blessé, heureusement, puisque leurs tirs visaient surtout les nuages. Une façon de dire que le premier ministre – qui devait faire une halte ici - n’était pas le bienvenu, tout comme les autres représentants de la république. Que veulent ces nouveaux pistoleros ? Simplement continuer à faire leurs petits trafics et, dans ce cas, tout ira bien. Tant pis pour les 6000 habitants honnêtes de la cité que la pauvreté condamne à rester ici et qui subissent leurs pressions. Une enquête, évidemment, a été diligentée. Du reste, Manuel Valls a pu tester ailleurs sa côte d’impopularité, puisqu’il s’est fait copieusement houspillé au lycée Victor Hugo. Il est vrai qu’il commence à en avoir l’habitude.
DSK : qui veut la peau de Dominique Strauss-Kahn ? On peut se poser la question quand on voit les mascarades qui ont entouré son procès, à Lille, pour « l’affaire du Carlton ». Une prostituée qui joue les saintes nitouches éplorées à la barre du tribunal ; des Femens qui vandalisent la voiture de l’ex-directeur du FMI : tout cela sent la vengeance mesquine. Quant au principal chef d’accusation – proxénétisme en bande organisée – qui pèse sur l’économiste partouzeur, on peut dire qu’il est particulièrement boursouflé, au vu des faits avérés. Car enfin, pourquoi des adultes consentants, rétribués ou pas, n’auraient-ils pas le droit de s’enfermer dans une chambre pour se livrer à une partie de jambes en l’air ? Face à cet acharnement, un contre-procès s’impose : celui du néo-puritanisme en France. Depuis, le procureur général a demandé la relaxe de DSK : il a bien fait. Reste la blessure de ce grand déballage et sa médiatisation, plus obscène encore que les agissements reprochés. La sexualité des puissants de ce monde – et DSK a été l’un de ceux-là - n’a pas fini de faire saliver le bon peuple.
Erik PANIZZA
15:35 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : copenhague, profanation, chine, dsk