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15/04/2016

Nuit debout : la petite insurrection qui monte, monte…

 

 

 

 Le projet de loi El Khomri sur la réforme du code du travail est-il la goutte d’eau qui va faire déborder la coupe de la colère populaire contre le gouvernement Valls ? Tout porte à le penser quand on voit l’effervescence qu’il n’en finit pas de produire depuis son annonce. La journée de grève du 31 mars a sans doute été un pic dans la contestation du tournant libéral pris par Hollande et consort. Elle a accouché, parmi d’autres initiatives politico-associatives, d’un curieux petit mouvement résumant le ras-le-bol général : Nuit debout. Né – tout un symbole – sur la place de la République, à Paris, il s’est depuis propagé à une soixantaine de villes françaises ; à Marseille, c’est au cours Julien, près de la Plaine, qu’il s’est établi depuis quelques soirs, tout en lorgnant maintenant vers des quartiers plus excentrés. Comme son nom l’indique, les assemblées  publiques sont nocturnes ; on y mange, on y boit, on y exprime à tour de rôle ses attentes et ses points de vue selon une codification gestuelle précise (agiter les bras en l’air en signe d’approbation, croiser les bras pour exprimer son désaccord). Les interventions sont relayées sur les réseaux sociaux, mais aussi sur une radio et une chaîne de télé ad hoc sur le web. Et – c’est loin d’être un détail négligeable – la comptabilité des jours s’effectue depuis la journée inaugurale du 31 mars (aujourd’hui, nous sommes ainsi le 46 mars).

Dans sa forme, Nuit debout rappelle d’autres révoltes populaires comme, voici quelques années, Occupy Wall Street, à New-York, ou le mouvement des Indignés, à Madrid. Comme eux, il est d’inspiration anarchiste – un anarchisme gauchisant – et entend aborder tous les problèmes actuels sans médiation, selon le vieux principe de la démocratie directe. Comme eux il génère quelques débordements qui inquiètent les forces de l’ordre. S’il y a, dans Nuit debout, quelque chose qui fleure bon l’utopie printanière, on aurait tort, cependant, de sous-estimer sa puissance d’insurrection : après tout, mai 68 a aussi débuté par des réunions marginales. On sent, comme jamais, la volonté partagée de renouveler la vie politique en France, à commencer par son personnel et ses dirigeants du moment. Mais, pour influer sur le cours des choses, il faudra non seulement que Nuit debout gagne encore des participants mais qu’il accepte, tôt ou tard, de se couler dans le moule de la démocratie représentative : c’est ce qu’a fait Syriza en Grèce ou Podémos en Espagne. Cela vaut encore mieux, pour préserver son originalité, que d’être récupéré par des politiciens rapaces, eux qui voudraient bien profiter de sa popularité et de ses idées. Quoiqu’il en soit, le balancier politique français, longtemps bloqué à droite, semble repartir vers la gauche. Et il pourrait bien surprendre ceux qui se croient toujours les représentants légitimes du peuple.

 

              Jacques LUCCHESI

16/02/2012

Espagne : amnistie ou amnésie ?

 

               

 C’était l’an dernier, en été, sur la place de la Porta del Sol, à Madrid. Personne n’a oublié cette foule bigarrée qui protestait, dans une ambiance de fête, contre l’austérité pré-programmée avec la seule force de sa sincérité. Bien vite, ce  mouvement dit des Indignés devait s’étendre à d’autres pays, dont la France et les USA. Oui, cet été-là, l’Espagne a encore étonné favorablement le monde. Quelques six mois après, force est de constater que les espérances portées par ce peuple en colère n’ont pas trouvé leur traduction électorale. Tout au contraire même, puisque la droite, sous la pression des marchés, est revenu aux commandes avec un seul crédo : bien gérer le pays. On sait, concrètement, ce que cela signifie pour les millions d’Espagnols qui vivent avec moins de 1000 euros par mois. C’est dans ce contexte de rigueur étouffante qu’est tombée, début février, l’annonce de la condamnation du juge Baltasar Garzon – l’homme qui a fait juger Pinochet. Aucune coïncidence dans ce jugement qui suspend de ses fonctions, pour une durée de 11 ans, cette personnalité forte et médiatique de 56 ans. C’est lui, en effet, qui avait, en 2009, démontré l’implication de la Droite Populaire (aujourd’hui au pouvoir) dans un scandale politico-financier. On lui a ainsi reproché ses écoutes illégales, comme on lui reproche à présent d’avoir violé un tabou de la démocratie espagnole en enquêtant, depuis trois ans, sur les crimes du régime franquiste. Curieux pays où la sortie de la dictature a nécessité la médiation d’une monarchie fantoche ; où une loi d’amnistie, édictée deux ans après la mort de Franco, fait toujours peser une chape de nuit sur quelques cent mille disparus politiques. C’est le couvercle de ce deuxième tombeau que Garzon, saisi par de nombreuses associations de victimes, a voulu soulever pour donner plus de clarté et dignité à leur souffrance, arguant le caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité. Il a opposé le droit international au pacte local du silence. Mal lui en a pris et comme d’autres juges avant lui, guidés par la même exigence de vérité, il s’est retrouvé à son tour au banc des accusés. Certes, mieux vaut être démis de ses fonctions  que d’être désintégré par une bombe (comme le juge Falcone). Mais c’est, à n’en pas douter, un recul de la démocratie face à ses ennemis intimes. Car amnistie ne doit pas être synonyme d’amnésie. Et l’Espagne - à l’instar de la France avec le régime de Vichy -  devra forcément accepter de regarder son passé en face. Gare, sinon, aux retours périodiques du refoulé.   

 

 

                               Bruno DA CAPO