22/07/2010
Travailler plus pour gagner moins
L’issue du référendum interne organisé, lundi 19 juillet, par les ouvriers de l’usine Général Motors, à Strasbourg, a un goût amer pour qui observe l’évolution du travail sous un angle humaniste. Une nouvelle fois, le pouvoir de l’argent a dicté sa loi aux forces vives de la production ; une nouvelle fois, la résignation a mis en berne la fierté des hommes ; une nouvelle fois, la prudence a triomphé de la hardiesse. Je sais : il n’est pas si facile d’avoir une position extrémiste quand on a des traites à payer tous les mois et une famille à nourrir. Et cependant… Une compromission ne risque t’elle pas d’en entrainer une autre ? Jusqu’où peut-on aller dans la soumission pour sauver son emploi ? Mais revenons brièvement sur les tenants de cette pathétique affaire.
Depuis plusieurs années, Général Motors, l’un des plus grands groupes automobiles américains, subit une forte crise en partie due à la nécessité de s’adapter au nouveau paradigme environnemental. Même les Américains achètent moins de voitures nationales, s’orientant de plus en plus vers des modèles étrangers moins coûteux et moins polluants. D’où une pression accrue sur ses filières internationales. C’est ainsi que l’usine de Strasbourg, spécialisée dans la fabrication de boites de vitesse, est passée en 2008 sous la tutelle d’une société chargée de gérer les actifs de la firme. Devant la faillite imminente de ce fleuron de l’industrie américaine, l’Etat fédéral est donc intervenu et a renfloué ses caisses à hauteur de 60%. Général Motors a ainsi pu racheter son usine strasbourgeoise mais avec des conditions nouvelles pour les 1150 ouvriers français qui y travaillent encore. Objectif : réduire de 10% le coût de sa main d’œuvre, sous peine de devoir délocaliser l’usine au Mexique (où, évidemment, on est moins soucieux d’équité sociale qu’en France). C’était, comme on dit, à prendre ou à laisser. Qu’allaient faire les intéressés ? La réponse à cet ukase, ils l’ont apporté en organisant ce référendum suivi à 97%. Mais – hélas ? - il a abouti à ce que 70% du personnel avalise les propositions de la multinationale. Au niveau syndical, force est de constater qu’à l’exception de la CGT, les autres formations se sont finalement alignées sur ce choix frileux qui va se traduire concrètement par un gel des salaires durant deux ans et une suppression de 6 journées de RTT.
En matière de soumission ouvrière aux exigences patronales, les précédents ne manquent pas, en France et en Allemagne, au cours de ces dernières années. Il suffit de rappeler les exactions de Bosch en 2004 et de Hewlett-Packard en 2005, deux groupes industriels au chiffre global plus que positif et qui n’en pratiquent pas moins le chantage au licenciement pour que leur personnel travaille toujours plus avec moins d’avantages. Du reste, cela ne les empêche pas de fermer, çà et là, des usines quand les résultats ne sont plus assez profitables. Au mépris affiché – faut-il le rappeler ? – des promesses faites à leurs employés. En 2009, l’affaire Continental en est un bel exemple, même si les ouvriers de Clairoix, par leur pugnacité, ont finalement obtenu une indemnité de licenciement supérieure à celle proposée par la direction. C’est dire, comme le soulignait récemment le journal « 20 minutes », que les salariés de Général Motors, malgré leur bonne volonté, ne sont peut-être qu’en sursis.
A travers l’évocation de ces tristes dénouements, comment ne pas pointer l’influence d’une politique économique inféodée au patronat et au capitalisme mondialisé ? « Travailler plus pour gagner plus » : le slogan enthousiaste du candidat Sarkozy en 2007 ne pouvait, en temps de crise, qu’aboutir à son parfait retournement. Un constat qui révèle ici ses ravages sur les consciences. Mais c’est peut-être un moment nécessaire pour redécouvrir qu’il y a une vie en dehors du travail.
Pierre LAFARGUE
17:30 Publié dans numero 5 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : general motors, rferendum, rtt
17/06/2010
Petites combines entre amis
Alors que 2012 se rapproche à grands pas, on commence, dans les partis, à affiner ses stratégies électorales. Et chacun y va de ses petits arrangements. Cela nous promet sûrement quelques bons moments au centre (Morin, Bayrou, Villepin), comme à gauche (Duflot et Cohn-Bendit ?). Mais, à n’en pas douter, le clou du spectacle sera donné, lors de primaires très attendues, par le Parti Socialiste. L’une, au moins, de ses récentes propositions mérite que l’on s’y arrête. Naguère, il confiait à ses militants le soin d’élire la personnalité la plus apte à le représenter dans l’élection présidentielle. C’est ainsi que Ségolène Royal se trouva propulsée pendant six mois sur le devant de la scène (elle ne s’en est jamais tout à fait remise). Or, voici qu’à présent, le PS propose d’étendre cette délicate mission à l’ensemble des Français. Cette apparente générosité n’est, cependant, pas sans conditions. Il faut, en effet, se déclarer adhérent aux valeurs de gauche – ça élimine pas mal de monde – et verser au moins un euro de participation pour devenir électeur. Ces formalités accomplies, n’importe quel citoyen d’au moins 18 ans pourra désigner, lors d’un scrutin public, le prétendant socialiste de son choix parmi ceux qui seront en lice.
On voit assez facilement ce que cette proposition implique.
Ainsi les socialistes, en élargissant à tous ce qui était jusqu’alors un privilège de militant, brouillent les repères sociologiques des gens. Tout en dévalorisant leurs militants de base, ils transformeront insidieusement en néo- militants ceux qui accepteront de rentrer dans leur jeu, au cours d’une élection qui ressemblera forcément à une répétition publique de présidentielle. Bel exercice de conditionnement ! Du reste, l’adhésion, même minorée, est évidente dans les deux conditions de participation –adhérer aux valeurs de gauche et verser au moins un euro. C’est ce qu’on appelle populairement gagner sur tous les tableaux. Non seulement, ils préparent mentalement une partie des Français à voter pour eux, leur offrant le pseudo privilège de s’investir dans leur cuisine interne, mais encore ils leur demandent de payer pour cela. Il est facile d’imaginer les millions d’euros qu’ils espèrent ainsi recueillir pour leur campagne : eh, c’est qu’il n’y a pas de petits bénéfices.
Y aura-t’il beaucoup de Français qui donneront dans ce panneau ? J’en doute. Le PS, quoiqu’il en pense, n’a pas le monopole de la gauche. Cela, il faut le lui rappeler sans tarder en boycottant une telle proposition. Qu’il se débrouille avec sa ménagerie, renards, brebis et éléphants confondus. Qu’il gère seul ses propres dilemmes. Au moment voulu – c'est-à-dire en avril-mai 2012 -, les électeurs de gauche se décideront, en leur âme et conscience, pour le candidat désigné ou sélectionné. Peut-être enverront-ils, alors, un socialiste au second tour, peut-être pas. Car l’hypothèse que les socialistes pourraient s’incliner dès le premier tour et soutenir, face à la droite, un candidat issu d’une autre formation de gauche n’est pas complètement à exclure.
Bruno DA CAPO
18:51 Publié dans numero 5 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : 2012, ps, gauche, primaires
11/06/2010
Adieu Zarafa
Conçue par Jean-Michel Rubio et Art Book Collectif, Zarafa, girafe métallique de six mètres de haut, a surgi sur les Allées du Meilhan – en haut de la Canebière – à l’occasion, voici un an, de la première édition des Bouquinades. Assez rapidement, elle est devenue une borne de livre-échange où les Marseillais pouvaient venir déposer ou prendre librement un vieux livre. Elle s’est ainsi retrouvée vêtue par un pelage multicolore de quelques trois mille bouquins. Cette sculpture originale, emblématique du renouveau culturel de Marseille, était devenue familière dans notre paysage urbain et constituait, pour tous ceux qui découvraient la vieille cité phocéenne, une curiosité supplémentaire et, pour tout dire, incontournable.
Hélas, elle n’est plus depuis près d’un mois, maintenant, victime de la bêtise – sinon de la barbarie – qui s’empare périodiquement d’une partie des habitants de cette ville. Il faut dire que l’occasion était presque une excuse. Le dimanche 16 mai, pour fêter la victoire de l’OM en championnat de France, environ soixante mille supporters remontèrent bruyamment la Canebière. Evidemment, le service d’ordre était à la mesure de l’évènement et, de provocation en provocation, des échauffourées éclatèrent. C’est alors que quelques jeunes imbéciles eurent l’idée abjecte de mettre le feu à la pauvre Zarafa et son costume de livres. En quelques minutes, les flammes dévorèrent le fragile symbole qu’elle représentait pour tous ceux qui pensent que Marseille est bien davantage que les initiales d’un club de football. Depuis, des politiques ont réagi, promettant la renaissance de Zarafa, tel le Phénix de ses cendres. En attendant, on peut lire les nombreux messages de tristesse et d’indignation collés sur les barrières qui entourent l’immense squelette calciné.
Non, Marseille ne sort pas grandie de ce troublant autodafé. Elle révèle surtout sa dualité et le télescopage de deux logiques antagonistes en son sein : celle du foot et celle de la culture. Harmoniser les deux d’ici 2013 relève de la gageure.
James GREYSTOKE
10:50 Publié dans numero 5 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : girafe, livres, om, autodafé