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04/03/2016

Bruissements (59)

 

Réforme : Confié à Myriam El Khomri, le projet de réforme du code du travail n’en finit pas de soulever des remous dans l’opinion publique. Une majorité de Français y est opposée et le fait savoir à travers les réseaux sociaux : une pétition de refus a ainsi atteint sur le Net près d’un million de signatures. On comprend mal, en effet, qu’un gouvernement de gauche puisse envisager de plafonner les indemnités prudhommales, élargir les conditions de licenciement économique ou diminuer la rémunération des heures supplémentaires. Si, évidemment, le PC et le Front de Gauche rejettent ce projet en bloc, c’est plus mitigé au PS où, néanmoins, la division gagne du terrain. Mercredi 24 février, la sortie de Martine Aubry – jusqu’ici plutôt attentiste – contre la dérive libérale du gouvernement a encore enfoncé le clou. Les tenants d’un socialisme progressiste et réconcilié avec le réel ont beau jeu de lui reprocher sa posture passéiste. Car jamais le PS n’est allé aussi loin dans son accointance avec le patronat ; jamais il n’a autant œuvré contre les travailleurs - sa base électorale - dont il est censé défendre les intérêts depuis sa fondation. Depuis, la ministre du travail a fait un malaise et Manuel Valls a repoussé de quinze jours la mise en délibéré du projet « pour mieux prendre le temps de la réflexion ». Une façon élégante de dire qu’il commence à en avoir marre. Français, encore un effort si vous voulez que cette abusive réforme connaisse le même sort que le CPE, voici dix ans, sous Jacques Chirac.

Salon : traditionnel rendez-vous des dirigeants politiques au mois de février, le salon de l’agriculture, cette année, ne pouvait qu’être l’épreuve du feu pour François Hollande après toutes les manifestations qui l’avaient précédé. Sitôt son arrivée, samedi dernier, le chef de l’état a été copieusement hué et insulté ; au point que Xavier Beulin, le président de la FNSEA- le principal syndicat des agriculteurs - a jugé bon de lui présenter, un peu plus tard, des excuses. Car cette corporation est particulièrement remuante depuis le début de l’année. Elle se sent flouée par les lois du marché et a le sentiment que son sort n’intéresse pas les dirigeants de ce pays. Ce n’est pourtant pas entièrement de leur faute si la concurrence européenne fait chuter les prix, si la grande distribution augmente toujours plus ses marges sur le dos des producteurs ou si les éleveurs français produisent plus de lait qu’ils ne peuvent en vendre. Mais, évidemment, quand la colère monte, on ne fait pas dans la nuance. En attendant, l’opposition souffle sur les braises, en particulier Marine Le Pen qui a beau jeu de désigner l’Europe comme la cause de tous les malheurs des paysans français. C’est ignorer volontairement les subventions que l’UE injecte depuis longtemps dans ce secteur fondamental de l’économie (même s’il y a, là aussi, un problème de répartition). Il est relativement facile d’exploiter électoralement les passions populaires ; c’est autrement plus ardu d’y apporter des réponses concrètes et probantes. Y a t’il façon plus malhonnête de faire de la politique ?

Référendum : on parle beaucoup de référendum ces temps-ci. Comme si c’était une forme de panacée électorale. Pourtant, cette forme de scrutin populaire est loin d’être anodine et sans danger pour ceux qui s’en remettent à elle (on sait ce qu’elle a coûté à De Gaulle). Dans le champ politique, elle contourne le système de représentation parlementaire qui est le nôtre et, à ce titre-là, elle devrait toujours rester exceptionnelle. Mais notre époque, en crise perpétuelle, n’a que faire de ces préventions. Son dernier avatar en date concerne le monde de l’entreprise. Avec lui, l’employeur qui veut, par exemple augmenter la durée hebdomadaire de travail, peut directement traiter avec ses salariés, sans passer par leurs représentants syndicaux. Même s’il leur faut se plier à la décision exprimée par majorité des votants, ceux-ci se sentent, à juste titre, évincés d’un processus de négociations qu’ils ont largement contribué à créer au sein de l’entreprise. Et incriminent avec raison la politique de libéralisation pratiquée par le gouvernement depuis deux ans. Reste que ce type de consultation n’a pas, in fine, de valeur juridique sans un accord collectif d’entreprise. Et qu’un salarié, déçu par le résultat d’une telle négociation, peut légalement la contester aux prud’hommes. Pour le moment…

Unédic : les chômeurs ne sont pas mieux lotis. Ils sont aujourd’hui près de six millions en France, répartis en de nombreuses catégories plus ou moins bien indemnisées. Pourtant, ce ne sont pas eux – ni, d’ailleurs les quarante mille employés de Pôle Emploi chargés de les encadrer – qui plombent la dette de l’Unédic (vingt-sept milliards d’euros). Ce qui creuse son déficit, c’est la multiplication des CDD, souvent très brefs, fruits d’une stratégie patronale à court terme. Dans ce cas, me direz-vous, l’état n’a qu’à augmenter leurs cotisations ? Eh bien non. Il préfère envisager la diminution de la durée et du montant des allocations chômage. Ah ! Le beau mot de socialisme.

Iran : On se souvient sans doute de la fatwa qu’avait lancée, en 1989, l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain anglo-indien Salman Rushdie qui venait alors de publier « Les Versets sataniques ». Ce roman – une fiction - montrait Mahomet dans une situation peu orthodoxe et cela avait suffi pour provoquer l’ire des musulmans du monde entier, toutes orientations confondues. Un million de dollars : tel était le montant de la récompense pour qui aurait la peau du « mécréant » auteur. Cette condamnation d’un autre âge avait, bien sûr, provoqué un tollé de protestations chez les intellectuels occidentaux. Il n’empêche que, vingt-sept ans après, Rushdie vit toujours sous une protection policière permanente. Et il a bien raison. Car loin d’être touchée par la prescription, la chasse à l’homme est toujours ouverte à son encontre. Mieux : la prime a même été augmentée – c’est peut-être un effet de l’inflation – et atteint aujourd’hui 3,3 millions de dollars. A l’heure où le sentiment démocratique semble progresser en Iran, on voit malgré tout qu’il lui reste beaucoup de chemin à faire. Une hirondelle ne fait pas le printemps.

Erik PANIZZA