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22/11/2013

Kennedy ou la mémoire d’une icône moderne

 


 

 

J’avais cinq ans quand, ce soir-là, ma mère, qui venait d’allumer le téléviseur familial, poussa un cri de surprise et d’effroi : « Ils ont tué Kennedy ! ». Son émotion, si sensible, se communiqua aussitôt au petit garçon que j’étais alors. C’était le 22 novembre 1963, à Marseille. On était déjà entré dans l’ère de l’information planétaire, quasiment en temps réel.

Cette mort en direct, nous l’avons depuis revue des centaines de fois. Comment oublier l’image – insoutenable – du crâne de Kennedy éclatant sous un troisième tir ou celle de sa jeune épouse rampant, affolée, sur le capot arrière de la Lincoln noire au toit ouvert ? Elles ne font pas seulement parties de notre mémoire collective ; elles ont littéralement inauguré un nouvel âge de notre culture, où rien de ce qui se produit dans le monde ne doit être soustrait au regard de la multitude. Au nom de la liberté d’informer, elles ont fait de nous des voyeurs permanents, toujours plus affamés de clichés sensationnels. Le terrain était depuis longtemps préparé pour Internet qui n’a fait que prendre le relais – en l’amplifiant – de la télévision et du photo-reportage.

Soit ! Mais cela n’explique pas, malgré tout, l’extraordinaire popularité dont bénéficie encore John Fitzgerald Kennedy – rebaptisé JFK – cinquante ans après sa mort. Après lui, d’autres chefs d’état – Anouar El Sadate en 1981, Yitzhak Rabin en 1995 -sont tombés, eux aussi, sous les balles de tueurs extrémistes. Mais aucun de ces assassinats n’a suscité la même volonté passionnée de savoir, le même engouement culturel qui a suivi le meurtre du président américain, à Dallas. Cela tient sans doute à plusieurs raisons. D’abord, les commanditaires de Lee Harvey Oswald n’ont jamais été clairement identifiés. Contrairement aux meurtriers de Sadate et de Rabin, personne n’a revendiqué ni justifié la mort de Kennedy, laissant planer ainsi la thèse obscure d’un complot aux multiples ramifications.  D’autre part,  Kennedy avait sur eux le double avantage de sa jeunesse et de sa beauté : des attributs fondamentaux pour faire entrer un homme – ou une femme – dans la légende, pour peu qu’ils se conjuguent à une mort tragique. La recette est restée la même depuis la plus haute antiquité. La modernité ne lui a, finalement, qu’apporté un surcroit de résonance. Enfin, Kennedy était à la tête du plus puissant état de la planète ; et tout ce qui l’affecte – nous ne le savons que trop depuis 2001 - peut avoir des répercussions dans le monde entier. Une vague immense d’espérance l’avait poussé vers les sommets. Elu pour accomplir des réformes sociales dans un pays où la liberté a toujours eu plus d’attrait que l’égalité, il devait forcément susciter, dans le même mouvement, des oppositions et des haines. Mais nul ne pensait alors qu’elles pourraient déterminer son élimination physique. Est-ce que ses adversaires – et ils étaient nombreux – pensaient qu’en l’abattant, on allait stopper ce processus d’émancipation et revenir à une Amérique figée dans ses vieux principes ? Cela est difficile à croire et Lindon Johnson a finalement achevé ce que son prédécesseur à la Maison Blanche avait seulement commencé. Mais en visant Kennedy, on visait aussi un symbole, quitte à en faire un moderne martyr. C’est ce qui s’est produit assez logiquement. Et si les révélations ultérieures sur ses relations douteuses avec la Mafia ou sur ses frasques intimes ont un peu terni son image, son nom cristallise toujours le rêve d’une nation américaine plus juste. Barack Obama en est le légitime héritier.       

 

 

                       Jacques LUCCHESI