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23/04/2015

Le don d’organes en question

             

 

 

 Délicate question que celle du don d’organes. Même dans une perspective post-mortem, elle met en jeu nos affects les plus profonds, implique une conception personnelle de la mort et de la dépouille cadavérique. Comment faut-il considérer le corps du défunt ? Comme un ensemble encore investi d’une identité et d’une histoire ? Ou comme un déchet dont il est urgent de se débarrasser au plus vite et duquel on peut extraire tout ce qui peut encore être utile à la société ? En bref, est-ce que le mort peut encore prétendre à un respect de son intégrité ? Lui reconnaît-on encore des droits ? Ou relève t’il, toute vie disparue, de la seule autorité publique ?

C’est pour  ces raisons – et d’autres, sans doute  – que l’amendement déposé par deux députés socialistes, Jean-Louis Touraine et Michèle Delaunay, à l’Assemblée Nationale le 13 mars dernier, ne peut que faire débat. Car il se propose d’étendre le prélèvement d’organes à tous les défunts qui n’auraient pas, de leur vivant, émis un refus catégorique vis-à-vis de cette pratique. Si, jusqu’ici il fallait, pour l’autoriser sur son corps, se déclarer donneur potentiel auprès de l’Agence de Biomédecine, il faudra ainsi accomplir la démarche inverse si l’on souhaite le respect de son intégrité physique après son décès. Car qui ne dit rien consent et ce ne sont pas  les morts qui contrediront ce vieil adage. Du reste, ce renversement de paradigme n’est pas complètement nouveau. Déjà, la loi Caillavet de 1976 permettait, mais de façon circonstanciée, cette possibilité. Mais si cet amendement est officialisé, c’est le consentement présumé qui sera généralisé, transformant chaque défunt en une banque organique ad libitum. Certes, les médecins, en l’absence d’une volonté clairement exprimée, doivent préalablement interroger les proches du disparu. Encore faut-il qu’il ait de la famille dans les parages. Et même dans ce cas, on imagine mal que ses parents résisteraient longtemps aux arguments médicaux. Les défenseurs de ce projet arguent le manque d’organes disponibles pour de nombreux malades en attente de greffe. Dans ce cas, ce serait faire acte de solidarité collective. Cela est bien, pour peu qu’on l’ait décidé en son âme et conscience : car, autrement, que devient la notion centrale de don ? Dans un pays démocratique comme la France, où l’état est censé protéger jusqu’au bout les libertés fondamentales des citoyens (on l’a encore vu récemment avec les débats sur la fin de vie et l’euthanasie), cette proposition de loi ne peut être que dérangeante. Elle constitue un pas de plus dans la déshumanisation ambiante et le traitement industriel de la mort. En ce domaine, le XXeme siècle nous a fourni quelques inoubliables antécédents.

 

                       Jacques LUCCHESI