21/03/2013
L’offense faite à Sarkozy
Il fut un temps – pas si lointain – dans notre histoire où l’on ne badinait pas avec le protocole et la hiérarchie. L’Ancien Régime tenait l’insulte publique à un souverain pour crime de lèse-majesté – et comme tel passible de la peine de mort. Autres temps, autres mœurs : mais la République conserva quand même, dans le cadre de la loi sur la liberté de la presse de 1881, le délit d’offense au président de la république. Cependant, aucun des trois présidents qui succédèrent à De Gaulle et à Pompidou – et ils ne furent pas moins concernés qu’eux par la vindicte médiatique – ne demanda son application. Nicolas Sarkozy n’eut pas leurs scrupules vis-à-vis de cet article de loi passablement poussiéreux. Lors d’une visite présidentielle à Laval, le 28 août 2008, Hervé Eon, un militant de gauche en fit les frais, lui qui avait écrit en grosses lettres sur une pancarte ces quelques mots devenus célèbres : « Casse-toi, pov con ! ». Cette petite phrase se voulait le rappel d’une foucade présidentielle au salon de l’Agriculture, six mois plus tôt ; foucade qui devait rester comme l’un des plus impopulaires dérapages de son quinquennat. Dument interpellé et menacé d’une amende de 45 000 euros, le frondeur militant obtint, après bien des démêlés juridiques, la transformation en une amende quasi symbolique de 30 euros avec sursis. L’affaire aurait pu en rester là mais, avec le soutien du Front de Gauche, il eût l’idée de porter l’affaire devant les institutions européennes. C’est ainsi que, le 14 mars dernier, il eût la bonne nouvelle d’apprendre que la CEDH avait tranché en sa faveur. Tout en reconnaissant l’offense au chef de l’Etat, celle-ci argua, contre la cour de cassation « la violation du principe de la liberté d’expression », estimant sa première condamnation disproportionnée par rapport au but satirique visé. La France – qui a déjà abrogé en 2002 le délit d’offense à un chef d’état étranger – supprimera-t’elle bientôt celui concernant ses propres présidents ? Quoiqu’il en soit, on voit ici que l’Union Européenne, par ailleurs si contraignante sur les questions économiques, peut aussi fournir des correctifs démocratiques aux particuliers et les aider à se défendre contre la justice de leur pays, quand celle-ci flatte un peu trop les puissants.
Erik PANIZZA
19:44 Publié dans 11 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eon, cedh, insulte, président