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19/11/2012

Bruissements (13)

 

 

Gentillesse : parce qu’elle est consciente de ses faiblesses en matière de vivre-ensemble, la société française tend à multiplier les journées consacrées à une grande cause nationale. Nous ne ferons pas ici l’inventaire de toutes celles qui jalonnent l’année pour en venir directement à celle de mardi 13 novembre, la journée de la gentillesse. Cette vertu – mais en est-ce encore une ? – est entendue, bien sûr, dans son acceptation vulgaire de douceur d’âme ou de bonté. Rien à voir, donc, avec la noblesse de son sens initial. Tiens ! C’est précisément ce jour-là que François Hollande – récent prix de la gentillesse en politique du magazine « Psychologies » - avait choisi pour sa première grande conférence de presse devant quelques 400 journalistes, à l’Elysée. Un exercice délicat, surtout dans le contexte chaotique du moment, qu’il a néanmoins assumé avec un certain brio. Sans surprise, il a éludé les questions qui fâchent (le rapport Gallois, le gaz de schiste, le droit de vote des étrangers) pour réaffirmer sa volonté de relancer la croissance et de faire baisser le chômage. N’en déplaise à ses nombreux détracteurs – Jean-François Copé en tête -, il garde son soutien sans faille à son premier ministre (si malmené dans les sondages). Pas de doute : le socialisme de Hollande rime désormais avec le pragmatisme le plus convenu. A d’autres (courants de la Gauche), la révolution verte ou rouge et la mise au pas du grand capital ; lui, il se reconnaît davantage dans la grande fraternité social-démocrate. Mais à vrai dire, a-t’il le choix ? Apostat mais opiniâtre, malgré tout, ce président. En quoi il montre ouvertement qu’il est moins mou et moins consensuel que tant de caricatures l’ont donné à penser jusqu’à présent. Une façon de retrouver le sens premier de la gentillesse, peut-être ?

 

Ambivalence : recul devant les exigences du patronat, atermoiement et désinvolture vis-à-vis des problèmes écologiques, projet de loi liberticide sur la prostitution. Nous avons tous à présent au moins une raison de rejeter ce gouvernement - dont nous avons pourtant souhaité l’arrivée. Mais nous avons aussi des raisons de l’aimer lorsqu’il entreprend de taxer à 75% les très riches, lorsqu’il s’attaque au cumul des mandats politiques et au scandale des dépassements d’honoraires médicaux ou qu’il fait réquisitionner des logements vacants pour les sans-abris.

 

Paranoïa : Certes, le gouvernement Ayrault peine à mettre en place une politique de gauche. Mais que penser des cris d’orfraie d’un Jean-François Copé contre l’actuel premier ministre ? Selon le prétendant à la direction de l’UMP, si Ayrault n’était pas rapidement « débarqué », c’est le pays tout entier qui serait au bord du gouffre. Et d’en appeler les chefs d’entreprise à descendre dans la rue pour faire entendre leur voix. On croit rêver. En débitant de pareilles sornettes, Copé peaufine, bien sûr, sa stature de leader de l’opposition. Mais son discours ressemble de plus en plus à un délire paranoïaque, complètement coupé de la réalité. Grosses ficelles de politicien qui ne duperont que ceux qui le veulent bien. Mieux vaut en rire.

 

Manifestations : les manifestations se suivent mais ne se ressemblent pas forcément dans ce pays. Ainsi, ce samedi 17 novembre – un pic sans doute en ce registre d’activités. Dans les grandes villes françaises, la mobilisation contre le mariage gay – rebaptisé pudiquement « mariage pour tous » - fut largement suivie et donna même lieu, comme à Toulouse, à des affrontements organisés. A Marseille, nous avons ainsi vu un cortège de plusieurs milliers de personnes descendre la Canebière en brandissant des pancartes où l’on pouvait notamment lire : « Deux papas, maman au débarras ». Certes, la Droite pilote en sous-main ce type de protestations. Et l’on sent davantage, chez tous ces opposants, la crainte de perdre leurs repères juridiques et moraux plutôt que de l’homophobie, à proprement parler. Mais – faut-il le rappeler ? – aucune société n’est immuable et la nôtre, avec ses valeurs qui semblent bien établies, n’est pourtant que le produit d’une succession de changements qui ont tous, en leur temps, entrainé des résistances féroces. A cette France traditionnaliste, la manifestation contre le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes, près de Nantes, constituait un contrepied assez parfait. Là, Ils étaient quelques 30 000 – souvent casqués et cagoulés – à brocarder le laxisme gouvernemental face à l’avancée libérale.  Bien entende, la Gauche pure et dure – Jean-Luc Mélenchon et Jean-Vincent Placé en tête –  était aux commandes, offrant une caisse de résonance politique à la légitime inquiétude des riverains. Dans les deux cas, c’est le gouvernement Ayrault qui est sur la sellette, soit qu’on le juge trop audacieux ou, à l’inverse, trop timoré. Quand on vous disait que gouverner, en France, est une tâche impossible….

 

Obama : un autre prétendu « gentil », Barack Obama, donnait, voici deux semaines,  un discours de remerciements à ses jeunes supporters, tous ceux qui par leur travail passionné de militants ont favorisé sa réélection à la maison Blanche. On l’a vu même, à cette occasion, écraser une larme : vous entrerez dans l’Histoire. » Leur a-t-il dit en substance. Etait-il à ce point candide pour oser une telle déclaration ? Ou était-ce, bien plutôt, la preuve de sa duplicité qu’il a faite avec son sens habituel de l’empathie ? Car, nous le savons bien, lui-seul restera dans l’Histoire – d’ailleurs, il y était déjà. Pas le travail dévoué, anonyme, de ses nombreux admirateurs qui se contenteront des miettes de sa gloire. Sans le sang et la sueur de la multitude, pas de pyramide personnelle. Ainsi en va t’il depuis toujours avec les puissants de ce monde, toujours prêts à vous donner ce qu’ils n’ont pas. Une bonne raison pour ne pas faire de la politique au sens partisan du terme.

 

Chine : son nom, pour un Français, est encore plus difficile à prononcer que celui de son prédécesseur. Il faudra pourtant s’y habituer, vu le poids que pèse désormais la Chine dans les échanges mondiaux.  Xi Jinping, 59 ans, vient de succéder à Hui Jintao  à la tête du parti communiste chinois. Il est le premier président à être né après la fondation de la République Populaire de Chine par Mao en 1949. Néanmoins, c’est un homme d’appareil – à l’instar de son père, déjà – qui a su gravir toutes les marches du pouvoir jusqu’à sa nomination à la vice-présidence du Parti en 2008 puis, maintenant, à sa présidence. Dans son discours inaugural, Xi Jinping a particulièrement insisté sur la corruption qui gangrène le pays et dont il entend faire son combat prioritaire. C’est dire que, sous sa présidence, des têtes d’oligarques pourraient bien tomber. Il devra sans doute prendre en compte la montée d’une classe moyenne chinoise – estimée à 700 millions de personnes, actuellement -, ainsi que les revendications ouvrières de plus en plus fréquentes. Pour le reste, aucun grand changement de cap n’est à attendre sous son mandat. Autrement formulé, le Tibet n’est pas encore prêt de redevenir un état indépendant. Vous avez dit « Droits de l’Homme »….

 

 

                                                  Erik PANIZZA

12/11/2012

Simplement pour un soir ?

 

 

               

 

 

Pour qui entend l’interroger autant que la regarder, la télévision française réserve parfois des surprises abyssales. C’était le cas, samedi 20 octobre, sur France 2, avec « Simplement pour un soir » que présentait l’indéracinable Patrick Sabatier. Pour la première fois – du moins à ma connaissance – une émission de variétés faisait revivre les morts. Non pas sur le mode habituel de l’archive –  palliatif prisé par la plupart des chaînes en ces temps de platitudes  musicales généralisées  -, mais sur le mode de l’image holographique (en trois dimensions)  qui restitue à l’identique l’allure et la voix d’une personnalité. En l’occurrence c’étaient quelques disparus célèbres, grands vendeurs de disques devant l’Eternel, comme Luciano Pavarotti, Serge Gainsbourg et Claude François, qui se partageaient l’affiche de cette émission grâce à ce troublant procédé technologique. Quoique  connu depuis les années 80,  celui-ci n’avait pas encore fait l’objet d’une exploitation commerciale à grande échelle. Voici quelques mois aux USA, il avait ainsi fait réapparaitre, sur la scène d’un concert pop, un rappeur décédé depuis quinze ans. Mais de là à penser qu’il arriverait si vite en France, sur le service public, bien peu l’auraient pronostiqué. C’est chose faite, désormais, et ces émissions - du troisième type -  ne font sans doute que commencer. Pourquoi s’arrêteraient-elles puisque les ayants-droits ont donné  leur accord et perçoivent ainsi des royalties supplémentaires sur les prestations fantomatiques de leurs illustres parents ? En fait, les problèmes posés par ces résurrections médiatiques sont d’un autre ordre et on aurait tort de vouloir les éluder. Car l’image holographique est foncièrement différente de l’image filmique ou télévisuelle, que tout un chacun sait appartenir au passé. Elle crée les conditions matérielles d’une illusion parfaite de présence ici et maintenant. Et bien que personne ne s’avoue dupe, la confusion entretenue entre vivant et mort ne peut manquer d’être déstabilisante. Ainsi, Michel Sardou, 65 ans, qui chantait ce soir-là en duo avec Claude François tel qu’en lui-même, offrait la vision d’un saisissant contraste avec ses traits fatigués et sa crinière blanche. N’a t’il pas, maintenant, trente ans de plus que le créateur de « Si j’avais un marteau », alors même que pour l’état-civil, il sera toujours plus jeune de huit années ? On comprend qu’il ait pu se sentir dérangé par cet insolite duo, comme il le déclarait juste après à Patrick Sabatier. Sous ce qui semble relever du simple divertissement, n’est-ce pas le vieux et vertigineux projet de nier la mort qui pointe le bout du nez ? N’est-ce pas, au nom de la loi du spectacle, la transgression de la réalité naturelle, même avec la volonté affirmée de faire rimer magie et technologie ? Faisons un pas dans la science-fiction et imaginons un instant ce que serait un monde où les vivants croiseraient dans la rue des hommes et des femmes faits avec cette nouvelle étoffe des rêves ? Des hommes et des femmes suffisamment connus pour que l’on sache pertinemment qu’ils sont morts depuis longtemps (ce qui serait en soi une forme de sélection et d’injustice). Où se situerait, dès lors, la frontière entre le réel et le virtuel, le présent et le passé ? Est-ce que notre organisation psychique et notre rapport au temps n’en seraient pas bouleversés ? Eh bien, c’est déjà ce monde qui est en germe dans une émission comme « Simplement pour un soir ». Sans d’ailleurs trop savoir s’il faut envier ou plaindre ces défunts « bankables » artificiellement ramenés à la vie. L’éthique, là aussi, a quelque chose à dire.

 

 

                             Jacques LUCCHESI 

05/11/2012

Pour Obama

 

                              

 

 

 A bien des égards les Etats-Unis demeurent un pays déroutant pour les Français. Et plus d’un d’entre nous, s’il le visitait en 2012, risquerait d’éprouver ce sentiment de déshumanisation qui avait accablé Georges Duhamel dès 1930 (in «Scènes de la vie future »). Car l’Amérique d’aujourd’hui reste pétrie de paradoxes. Les aspirations les plus généreuses y côtoient les attitudes les plus rétrogrades et les plus cyniques. Des milliardaires y créent des fondations caritatives après avoir fait fortune par les moyens les plus déloyaux (1% d’Américains détiennent  autant d’avoir que 90%  de la population). Pour financer leurs études, des légions d’étudiants s’endettent pour le restant de leurs vies. Et de nombreux vieillards sont obligés, pour survivre, de travailler jusqu’à la fin de leurs jours, vu la maigreur de leurs pensions-retraites. Dans ce pays qui s’est souvent vanté d’être la première démocratie du monde, la peine de mort se porte plutôt bien et la liberté de pensée est sujette à caution : se déclarer publiquement athée peut encore faire de vous un paria. Si au moins la foi chrétienne de ses dignitaires les inclinait à plus de solidarité  avec les plus démunis (ils se comptent présentement en dizaines de millions). Mais ce sont ceux-là qui, le plus souvent, reprochent à l’Etat d’intervenir en faveur des  pauvres. Car ici l’opinion dominante veut que chacun, riche ou pauvre, n’a que ce qu’il mérite en ce monde et il est, dès lors, vain de s’en prendre au système. C’est pourtant ce système qui a produit la crise des sub-primes en faisant miroiter, à des millions de malheureux, la possibilité d’accéder à la propriété individuelle. Et il n’est nul besoin de s’attarder ici sur la ségrégation raciale qui a caractérisé la société américaine jusqu’à ces récentes décennies.

Cet état de choses profondément injuste et inégalitaire, un homme s’est donné pour mission de l’améliorer et le peuple américain, dans sa grande diversité, l’a porté à a présidence en 2008. Quatre ans plus tard, Barack Obama est de nouveau candidat à sa propre succession. Certes, son bilan est mitigé et il est loin d’avoir tenu toutes ses promesses. Il n’a pas ainsi pu faire plier les grands financiers de Wall-Street ni mettre un terme à la guerre en Afghanistan, malgré l’élimination de Ben Laden en 2011. Et Guantanamo, ce symbole des années Bush, n’a pas été fermé, quoiqu’il ait pu dire. Mais il a néanmoins entrepris des  réformes sociales dont la couverture santé pour 32 millions d’Américains  défavorisés reste la plus emblématique de ses quatre années passées à la Maison Blanche. Face à lui, il a Mitt Romney, un homme issu de l’Establishment, ex-évêque mormon, ex-homme d’affaires enrichi et gouverneur en titre du Massachusets. Un homme qui ne fait pas figure d’extrémistes chez les Républicains mais qui reste quand même opposé à l’intervention de l’Etat dans le marché ainsi qu’à la recherche biologique de pointe. S’il venait à être élu, mardi  6 novembre, c’est une Amérique arrogante et idéaliste qui réapparaitrait sur la scène internationale. Quant aux pauvres et autres assistés, ils n’auraient plus, pour se soigner, qu’à s’en remettre à la charité des églises de toute obédience.  Gageons que la majorité des 100 millions d’électeurs américains optera demain pour le programme, autrement plus rationnel et plus moderne, du président démocrate. C’est la condition nécessaire pour qu’il puisse terminer  son travail de réajustement, tant social que diplomatique, d’un pays encore puissant mais qui n’est plus le centre absolu du monde. Il sera toujours temps de dresser, en 2016, son bilan définitif.

 

 

                                             Bruno DA CAPO