22/05/2019
Elections européennes : Et si on faisait mentir les sondages ?
Quand on observe l’actuel mercato politique, on constate que le mouvement des transferts se fait surtout de la gauche vers la droite. Certes, la République en Marche – qui n’est pas, loin s’en faut, un parti de gauche - a débauché, aux dernières présidentielles, quelques Républicains notables. Mais il a encore plus recruté chez les sociaux-démocrates lors des législatives qui ont suivi. En rejoignant, voici quelques mois, le Rassemblement National, l’ex-Républicain Thierry Mariani a mis en lumière les dérives droitières de son parti d’origine, quoique celui-ci en dise.
Je ne sais trop si, en politique, les extrêmes se rejoignent, mais le ralliement, vendredi dernier, d’Andréa Kotarac au parti de Marine Le Pen pourrait le laisser penser. Car ce transfuge était jusqu’à présent élu de la France Insoumise au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Croit-il sincèrement à ce qu’il dit en déclarant que « seul le Rassemblement National est capable de barrer la route à Macron aux élections européennes » ? Je l’espère pour lui mais c’est néanmoins une grosse bêtise.
Son argument sonne faux pour au moins deux raisons. D’abord nous sommes présentement dans une configuration européenne, pas à un deuxième tour des élections présidentielles. Je veux bien admettre que Macron soit pour lui l’adversaire absolu, mais ce n’est pas une vague bleu-marine au parlement européen qui va changer la donne en France – car c’est de cela qu’il s’agit – pour au moins les trois prochaines années. Tout au plus, cela donnera du grain à moudre à l’opinion publique et redorera le blason lepéniste, plutôt terni depuis deux ans. Ensuite, et quoiqu’en aient décidé les instituts de sondages, le débat électoral n’est pas résumé par l’affrontement La République en Marche/ le Rassemblement National. Ce sont seulement les deux formations politiques majoritaires de ce moment européen et elles se partagent au mieux 50% des intentions de vote. Quid de l’autre moitié des suffrages à venir ?
Entre les progressistes version Macron et les nationaux-souverainistes version Le Pen, il y a d’autres alternatives, tant à gauche qu’à droite, parmi les 34 listes qui composent le spectre français de ces élections européennes. Pourquoi, dans ce cas, ne pas oser miser sur un outsider ? Pourquoi, dans ce scrutin à un tour, ne pas affirmer sa préférence – ou sa différence – et donner sa voix à un candidat qui pourrait faire entendre un autre son de cloche à Bruxelles et à Strasbourg ? Car s’il y a beaucoup de propositions farfelues dans les nombreux programmes en lice, il y a aussi beaucoup de propositions intelligentes et pertinentes. A chacun de les repérer et de leur donner une chance d’influer, même bien modestement, sur la politique de l’Union Européenne. A chacun de secouer le joug médiatique qui acclimate les esprits à toujours moins de liberté, dans un parfait mépris de la diversité démocratique. Quel que soit l’avenir qui nous est réservé, nul ne pourra dire que les dés étaient pipés s’il n’use pas de sa liberté à juger dans cette élection. C’est notre responsabilité de citoyen qui est totalement engagée, dimanche.
Jacques LUCCHESI
14:58 Publié dans numéro 19 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : élections européennes, sondages, kotarac, alternative
07/05/2019
Les journalistes dans la tourmente
Les chiffres de Reporters sans frontières sont alarmants: journaliste est un métier à risque dans de nombreux pays, surtout quand on enquête sur des sujets sensibles, c’est dire liés à l’économie et la politique. En 2018, année particulièrement violente, ce sont quatre-vingt journalistes qui ont perdu la vie au cours de leurs missions, dont soixante-trois délibérément éliminés – ce qui représente une hausse de 8% par rapport à 2017. A quoi il faut ajouter trois-cent quarante huit détentions arbitraires et soixante otages pour compléter ce sinistre tableau. Certes, la plupart de ces crimes et exactions se sont déroulés dans des pays minés par la guerre ou peu enclins à la démocratie, comme L’Afghanistan, la Syrie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Mexique, la Turquie et la Chine. Mais l’assassinat de la journaliste nord-irlandaise Lyra Mac Kee, à Londonderry, jeudi 18 avril, vient nous rappeler qu’en Europe occidentale, aussi, les travailleurs de l’information ne sont pas à l’abri d’actes vindicatifs.
Et la France dans tout ça ? Deux récentes affaires nous démontrent, si besoin était, que la liberté de la presse a aussi du plomb dans l’aile au pays des Droits de l’Homme.
Il y a eu tout d’abord l’arrestation de Gaspard Glanz à Paris, lors du 23eme samedi de manifestation des Gilets jaunes. Qui est Gaspard Glanz ? Un journaliste indépendant de 32 ans, spécialisé depuis 2012 dans le suivi des mouvements sociaux. Ses prises de position – car il est aussi un citoyen engagé – lui ont déjà valu plusieurs interpellations et même une fiche S. Cependant, samedi 19 avril, lorsqu’il s’est querellé avec les policiers qui l’entouraient, c’était d’abord pour protester d’avoir été la cible – ratée – d’un tir de grenade lacrymogène. Et comme ceux-ci voulaient l’empêcher de filmer, il leur a adressé un doigt d’honneur – ce qui, dans ce contexte explosif, n’est pas un geste particulièrement menaçant. Il lui a néanmoins valu une garde à vue de quarante huit heures et une interdiction de participer aux prochains défilés publics, autrement dit un empêchement à exercer son métier. En outre, Gaspard Glanz devra comparaître devant un tribunal en octobre prochain, pour répondre de son attitude frondeuse. Quelle disproportion entre son geste et ses conséquences ! On peut dire, dans son cas, que le juge n’y est pas allé de main morte.
C’est une affaire bien plus grave – les ventes d’armes de la France au Yémen - qui va conduire Mathias Destal, Geoffrey Livolsi et Benoît Collombat devant la direction de la DGSI, le 14 mai prochain. Il leur est reproché d’avoir publié, après enquête, un rapport classé secret défense sur le site d’investigation Disclose. Les trois journalistes n’ont pourtant fait que leur travail dans cette affaire qui confirme le peu de scrupules des dirigeants français quand il s’agit de réaliser de gros contrats internationaux. Car malgré les explications embarrassées de Florence Parly – ministre des armées -, qui ne sait que des armes prétendument défensives peuvent être tout aussi bien utilisées à des fins offensives et donc meurtrières ? Et c’est sans même parler de l’instruction militaire apportée par la France aux troupes gouvernementales yéménites en charge de mater la rébellion qui sévit dans ce pays.
Face à cette dérive autoritaire, de nombreuses associations – dont Amnesty International – ont apporté leur soutien aux trois journalistes incriminés, rappelant que la protection des données – le fameux secret des sources – est la condition sine qua non d’une presse libre en démocratie. Il n’en reste pas moins qu’entre les journalistes et les politiques, le contentieux ne date pas d’hier et que le pouvoir se méfie de leur influence sur l’opinion publique. Au nom de la sécurité, les libertés publiques sont de plus en plus rognées et soumises à conditions. C’est un peu la leçon des dictatures aux démocraties.
Jacques LUCCHESI
17:08 Publié dans numéro 19 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journalistes, presse, liberté, sécurité