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24/07/2015

Mozart revisité

 

                            

 

 

 Dans l’actualité de ces dernières années, on a souvent vu des œuvres d’art ou des spectacles retirés prématurément de l’affiche parce que susceptibles de choquer l’opinion musulmane. Ce fut, notamment, le cas pour « Le fanatisme ou Mahomet le Prophète», pièce de Voltaire montée en Suisse et en France en 2005. Cette auto-censure des créateurs artistiques est plus que jamais au cœur des débats qui agitent la médiasphère depuis un certain 7 janvier 2015. Ce qui s’est passé récemment au Festival d’Art Lyrique d’Aix est cependant différent. On y programmait « L’enlèvement au sérail », l’un des opéras les plus connus de Mozart. Comme ne le cache pas son titre, il y est question d’un rapt : celui d’une aristocrate et de sa servante par des pirates levantins en vue de les vendre à un sultan libidineux. D’où la quête éperdue de son fiancé pour les arracher à cet univers oppressant. De quiproquos en tractations, la conclusion sera heureuse et tout ce petit monde retrouvera, bien sûr, la liberté et l’amour. L’opéra fut créé à Vienne en 1782 et son canevas épouse assez bien l’esprit des Lumières, mélange d’optimisme et de fascination pour la culture de l’autre, surtout en matière de mœurs sexuelles. Cette lecture était sans doute trop simpliste pour Martin Kusej, metteur en scène du dit opéra. Car avec lui, le sérail de tous nos fantasmes est devenu un camp retranché de djihadistes  enturbannés, kalachnikovs en bandoulière. Il  a même inséré dans le décor une vidéo de décapitation et un drapeau de Daesh, des fois où le public n’aurait pas bien compris sa géniale vision de l’opéra mozartien. Je veux bien qu’un metteur en scène exerce son droit de relecture d’une œuvre du répertoire classique. Je veux bien qu’il la réactualise avec, par exemple, des artefacts et des costumes modernes. C’est que fit, entre autres, Jean-Pierre Vincent dans un mémorable « Lorenzaccio » donné en 2000 à Marseille (rappelons que l’action de la pièce de Musset est censée se dérouler au XVI eme siècle). Mais avec les choix de Martin Kusej, on n’est plus dans l’allégorie mais dans un lourd et insistant rappel de l’actualité la plus sordide. A-t-il pensé que le spectateur d’un opéra ou d’une pièce de théâtre peut chercher à fuir, le temps d’une représentation, une réalité médiatique un peu trop déprimante ? N’a-t’il pas entrevu que son parti-pris esthétique faisait un surcroît de publicité à une organisation terroriste qui ne recherche que ça à travers toutes ses abominations ? Le public ne s’y est pas trompé, lui qui a copieusement hué sa mise en scène. Au point que Bernard Foccroule, directeur du festival d’Aix, a exigé et obtenu la suppression de la séquence de décapitation et du drapeau incriminé. Rarement censure aura été plus justifiée. Devant quoi  il se trouvera sans doute quelques belles âmes pour clamer qu’il n’y a plus de liberté dans ce pays.

 

                     Jacques LUCCHESI

14:53 Publié dans numéro 15 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aix, mozart, rapt, sérail

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