04/01/2006
Misère et exclusion
Depuis plus de dix ans maintenant Francis, 60 ans, vit le quotidien du SDF : longs déplacements urbains chargé de tous ses biens et vêtements, maigres repas, insécurité et errances de meublés en foyers d’accueil. Ces derniers temps, la maladie est venue grever un peu plus sa précaire situation. Malgré tout, il trouve encore la force de sourire et lorsque nous nous rencontrons, comme dans un passé plus heureux, il lui arrive même de me demander où en sont mes travaux littéraires. Ceux-ci n’ont pas comblé tous mes rêves de jeunesse mais j’essaie néanmoins de poursuivre, livre après livre, la traçé d’un sillon commencé voici une vingtaine d’années. Aussi l’ai-je invité, en juin dernier, à la lecture-présentation que je donnais de mon dernier recueuil (« Homonymies », éditions Gros Textes) dans une librairie marseillaise. Il fut, ce jour-là, l’un des premiers à venir. Cependant, après avoir feuilleté un exemplaire, il tourne doucement les talons et s’en va. Je le rejoins et lui demande pourquoi il ne veut pas attendre le début de la lecture. Il me répond , de sa voix douce et traînante, qu’il se sent gêné d’être ainsi accoutré dans une librairie ; il n’est pourtant pas mal vêtu mais ses vêtements sont usés, il s’appuie sur une béquille et charrie toujours ses paquets de linge . Comme ça, il craint même de me désservir. Je le rassure et l’invite à entrer de nouveau, mais rien à faire. Sa condition lui fait honte, le fait souffrir. Auto-exclusion qui est peut-être la pire conséquence de la misère.
Jacques LUCCHESI
11:55 Publié dans Numéro 1 | Lien permanent | Commentaires (0)
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