Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/12/2017

       Réflexion sur des funérailles

              

 

 

 Depuis le 11 janvier 2015, on n’avait plus vu une telle concentration humaine à Paris. Car c’est par centaines de milliers qu’ils étaient venus, entre les Champs Elysées et l’église de la Madeleine, assister aux funérailles de leur idole. Le show était bien conçu, avec une jeune veuve et ses deux enfants (adoptifs) suivant pas à pas la voiture mortuaire, façon Jackie Kennedy; avec ces artistes qui multipliaient, dans l’église pleine à craquer, les témoignages de sympathie au disparu ; avec un président de la république aux accents dithyrambiques demandant à la foule d’applaudir une dernière fois le chanteur (c’est tout juste s’il n’allait pas décréter trois jours de deuil national). Je veux bien croire que Johnny Halliday, même habitué aux méga-concerts, n’a pas dû, de son vivant, imaginer une telle sortie de scène. De quoi faire enrager, outre-tombe, Claude François qui n’a pas eu, malgré bien des hommages  de fans éplorés, un tel enterrement en mars 1978. Noir c’est noir, mais trop c’est trop !

Samedi 9 décembre, tant sur TF1 que sur France 2, le journal télévisé se résumait à un morne reportage en direct de la procession funéraire. C’est à croire que tous les problèmes du monde s’étaient  momentanément évanouis. Disparues les tensions à Jérusalem faisant suite à la volonté de Donald Trump d’y installer une ambassade américaine ! Oubliée la préparation des élections régionales en Corse ou celle, en interne, des républicains ! Et ne parlons même pas des SDF qui crèvent de froid en cette saison et à qui les municipalités interdisent jusqu’aux bancs publics.

L’homme qui venait de mourir et dont on a, à juste titre, fait l’éloge public, n’était certes pas tout à fait comme le commun des mortels. Sa vie, pendant plus d’un demi-siècle, a été largement scrutée et commentée au point de devenir presque familière à de très nombreux français. Cela s’appelle la célébrité – ce qui est différent de la gloire que certains voudraient lui associer. Plus encore que le chanteur doué qu’il était, Johnny Halliday fut une star. Mais qu’est-ce qu’une star sinon un statut fabriqué de toutes pièces par le marché – 100 millions de disques vendus tout de même – et les médias ? C’est une création sociale dans lequel celui – ou celle – qui est pris dedans n’a pas fait autre chose, pour la mériter, que d’exercer son métier et de vivre selon son principe individuel. Dès lors cet être, mi-réel, mi imaginaire,  peut offrir du rêve à beaucoup de gens. Mais, reconnaissons-le, c’est peu de chose en comparaison de ce qu’apportent au monde de grands inventeurs, de grands médecins ou de grands politiques. Les bienfaits de la star sont d’abord d’ordre imaginaire (et, à un autre niveau, d’ordre économique, aussi). Ils ne changent pas en profondeur la vie des hommes et des femmes à un moment donné de l’Histoire.

Johnny Halliday fut le produit de son époque, il n’en a pas modifié l’orientation. Par son style, sa voix et ses chansons, il a surtout permis à ses admirateurs de supporter des conditions de vie qui n’ont pas été toujours faciles, mais il ne les a pas améliorées. C’est peu et beaucoup à la fois ; ça ne méritait sans doute pas une telle publicité, une telle pompe autour de sa disparition. Quand le soufflet de l’affectivité sera retombé, on pourra alors reparler de lui sereinement et le juger à l’aune de son seul legs artistique. Et l’on verra alors qu’il n’est pas si important que ça ; moins important, en tous les cas, que ceux d’autres chanteurs français partis plus discrètement que lui.

 

Jacques Lucchesi    

16:32 Publié dans numéro 17 | Lien permanent | Commentaires (0)