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07/04/2009

Excommuniés!





De temps à autre, l’actualité nous offre involontairement des sujets de réflexion morale. Tout se passe alors comme si une succession d’éléments dramatiques s’abouchait en exemple, échappant ainsi à la fugacité du fait-divers pour éclairer plus largement l’état d’esprit d’une nation, voire d’une époque. Le dernier en date vient du Brésil où une excommunication (contre une équipe médicale et la mère d’une victime) a été prononcée, voici deux semaines, par un archevêque particulièrement dogmatique. Avant de s’interroger sur le caractère anachronique de cette sentence, il convient de résumer les faits qui l’ont entraînée. Une fillette de 9 ans, fréquemment violée par son beau-père depuis l’âge de 6 ans, s’est retrouvée précocement enceinte, qui plus est de jumeaux. Le médecin qui l’examine prescrit logiquement une interruption de grossesse, d’autant plus qu’un accouchement pourrait lui être fatal, vu sa constitution chétive. Cette mesure médicale a tout pour faire l’unanimité, y compris chez les catholiques, puisque la grossesse résulte d’un viol et qu’elle peut mettre en danger les jours de la mère. Elle rencontre cependant un opposant de taille en la personne de Dom José Cardoso Sobrinho, archevêque de Recife, pour qui « le viol est moins grave que l’avortement ». Et de frapper d’excommunication – autrement dit d’exclusion de la communauté chrétienne – la mère de l’enfant qui l’a amené à consulter, ainsi que le docteur Severiano Cavalcanti et son équipe qui l’ont avortée. La gamine, quant à elle, est épargnée en raison de son âge, de même que son abominable parâtre qui, démasqué, a été mis sous les verrous. Cette mesure, qui peut paraître dérisoire à des laïques, est gravissime pour des catholiques et tous les acteurs de cette triste histoire le sont, comme d’ailleurs la majorité des habitants du Brésil. L’affaire se répand et fait grand bruit dans l’opinion ; au point que le président Lula (lui-même chrétien) intervient dans le débat en faveur du médecin sanctionné. Le Vatican en est, bien entendu, informé et, finalement, par la bouche amène du porte-parole pontifical, le cardinal Giovanni Battista Re, il avalise la décision du prélat brésilien, car « le vrai problème, c’est que les jumeaux conçus étaient des personnes innocentes qui ne pouvaient être éliminés. »
On reste consterné devant tant de rigidité morale ; consterné par cette opiniâtreté à écarter la vérité criante des faits au profit d’une loi abstraite. Finalement, cet intégrisme-là n’a rien à envier à celui des fatwas décrétées par d’autres dignitaires religieux en d’autres parties du monde. Certes, il y a des causes historiques à ce durcissement de la parole écclésiale. On se souvient sans doute que le Brésil, voici quelques décennies, fut le champ d’expérience de la théologie de la libération professée par Dom Helder Camara. La lutte contre la misère, l’ignorance et les oppressions de toutes sortes était au centre de son programme. Un programme jugé un peu trop marxiste par Jean-Paul II qui s’appliqua, dès 1985, à y remettre de l’ordre. La nomination de Dom José Cardoso Sobrinho en est une conséquence. Il n’en reste pas moins que sa décision n’est guère propre à redorer le blason de l’Eglise. Elle donne non seulement du grain à moudre à tous ceux qui, pour une raison ou une autre, la rejettent mais elle aussi est de nature à diviser les chrétiens eux-mêmes. Une grande partie d’entre eux souhaite, on le sait, que l’Eglise ajuste davantage son discours à la réalité du monde d’aujourd’hui. Ce n’est donc pas cet arbitraire d’une autre époque, illustration assez parfaite de la lettre primant sur l’esprit, qui va apaiser leurs interrogations. Comment comprendre, en effet, qu’une telle sentence puisse être prononcée par le représentant d’une religion d’amour et de compassion, au vu du scandale que constitue en soi l’histoire de cette malheureuse fillette ? Comment justifier un pareil manque d’humanité de la part de ceux qui sont censés la protéger ? Ce sont là des questions graves et, pour une fois, reconnaissons que le vieux proverbe « vox populi, vox dei », est sans doute la conclusion qui s’impose ici.


Jacques LUCCHESI

13:37 Publié dans Numéro 4 | Lien permanent | Commentaires (0)