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01/02/2010

Sarkozy parle aux Français

Il est arrivé, l’air narquois, sur le plateau de Jean-Pierre Pernod vers 20H45 après avoir causé avec Laurence Ferrari des affaires du moment (dont, bien sûr, celle d’Henri Proglio). Le JT de TF1 : une sorte d’échauffement télévisuel pour lui permettre d’affronter les questions de 11 Français triés sur le volet. De la chômeuse diplômée au retraité besogneux, en passant par le patron de PME et le suppléant de l’Education Nationale, ils composaient un spectre assez représentatif de la société française actuelle. Et tous, évidemment, avaient des doléances spécifiques qu’ils allaient enfin pouvoir soumettre, en direct et en personne, à notre super-président. Sarkozy à TF1, c’est un peu Saint-Louis rendant la justice sous son arbre. Après presque trois ans de règne, le monarque républicain a eu le temps de peaufiner sa technique de communication et offre volontiers une image d’équanimité, aux antipodes de l’arrogance et de l’autoritarisme du candidat qu’il fut naguère. Il se contrôle et écoute paternellement ses interlocuteurs, même ceux qui le contestent ouvertement, comme Pierre, l’ouvrier syndicaliste de Renault. Mais, au fond, il n’a pas changé. Quelles que soient les questions, il a une réponse toute prête selon un schéma discursif en trois temps : d’abord déplorer, ensuite conforter en rappelant tout ce qu’il a fait, enfin annoncer tout ce qui reste à faire et qu’il va faire, évidemment, d’ici la fin de son mandat. Les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui les écoutent.

Au delà de son exercice bien rodé d’auto-satisfaction et de son temps de parole toujours en inflation (encore une heure de plus, ce soir ; c’est « Joséphine, ange gardien » qui paiera la note), que lui reprochent toutes ces voix discordantes qui s’élèvent à la moindre de ses apparitions? De ne pas faire ses courses au supermarché ? Noblesse oblige. D’aimer davantage les patrons que les ouvriers ? On ne se refait pas à 55 ans. De préférer l’augmentation du temps de travail à sa redistribution proportionnelle ? Ah, ses diatribes récurrentes contre les 35 heures ! Ou peut-être, tout simplement, de ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Contre toute attente, sur le plateau, le témoignage le plus embarrassant pour lui est venu de Bernadette, la timide employée de grande surface. Sans nommer ouvertement – on n’est jamais trop prudent – son employeur, elle a avoué avoir demandé plusieurs fois des heures supplémentaires – ces fameuses heures supplémentaires détaxées pour les patrons – et, chaque fois, elle a essuyé un refus de sa direction, au motif qu’il n’y avait pas assez de travail. Et notre bon président de prendre un air étonné : « Comment est-ce possible, madame ? Je vais aller lui tirer les oreilles. ». Quand on vous disait, voici trois ans, que c’était de la poudre aux yeux…

Erik PANIZZA

31/12/2009

De l'identité nationale






Comme il semble loin le temps où la patrie était ce nom sacré qui justifiait le sacrifice de sa vie ; où , à l’heure des grands
rassemblements, on pouvait chanter sans rire la Marseillaise avec une main sur le cœur. S’il y a encore des grandes
causes  – comme le Téléthon – pour mobiliser généreusement le bon peuple de France, le patriotisme n’est assurément
plus de celles-là. Et puis, où sont nos ennemis à l’heure de la fédération européenne ? Certainement pas à l’extérieur de
nos frontières. Là se situe le grand paradoxe de cette campagne pour l’identité nationale dont on nous rabat présentement
les oreilles. Alors que la France n’est plus désormais qu’un des états composant – certes avec panache – l’Europe des 25 ;
alors qu’il nous faudrait logiquement nous décentrer de notre « francéité », voilà qu’un  ministre, et non le moins trouble,
remet sur le plat une problématique qui fleure bon un nationalisme suranné. Avouons qu’il y a là de quoi avoir des
soupçons sur les intentions cachées de nos dirigeants.
Est-ce que, pour autant, ce débat n’a aucune raison d’être dans le contexte social actuel, comme d’aucuns le clament haut
et fort ? Ce n’est pas si certain. Reconnaissons sans honte qu’il n’est pas si facile (malgré notre prétendue vocation à la
fraternité)  d’accueillir le migrant ou d’oser le dialogue avec l’insurgé du dedans. Ne nous voilons pas les yeux devant le
malaise qu’éprouvent beaucoup de gens – et pas seulement les zélateurs d’une droite extrême – devant la montée de
revendications identitaires. On ne peut pas toujours les ignorer ou les considérer comme des manifestations anodines
dans le concert démocratique, par essence pluri-culturel. Il s’agit sans doute de redéfinir nos propres valeurs et, à travers
elles, la place que nous devons faire à des valeurs qui ne découlent pas de notre tradition laïque et républicaine. Il s’agit de
définir ce que nous avons en commun autant que ce qui nous éloigne, d’établir ainsi un nouveau modus-vivendi dans
l’espace public. Ainsi parviendrons-nous peut-être à désamorcer un processus insidieux de guerre civile, lui qui commence
toujours par la recherche de bouc-émissaires. Alors, on pourra rappeler aux nostalgiques de Vichy et à tous ceux qui
rêvent d’une France frileusement repliée sur elle-même que ce pays s’est toujours nourri de diversité culturelle. Nous ne
retrouverons pas ainsi l’adhésion affective, spontanée, à une France éternelle, mais ce n’est pas ce que nous voulons.
Notre visée est plus modeste : savoir si nous avons toujours la volonté d’un destin commun.


Bruno DA CAPO

31/10/2009

Sexe, mensonges et politique



La recette est connue depuis longtemps. Prenez un homme politique en vue, dénichez dans sa vie une zone d’ombre – une maîtresse ou un amant douteux -, faites cuire le tout dans une sauce médiatique pleine d’indignation vertueuse et vous aurez rapidement l’un de ces croustillants scandales dont la société moderne est si friande. Et les commères de renchérir un peu partout :
« Tous des tordus, ma bonne dame. Dire que ce sont des gens comme ça qui nous gouvernent. Quelle époque ! »
Un préjugé idiot voudrait, en effet, que dans notre république, nos dirigeants soient impeccables, qu’ils donnent  l’exemple à leurs administrés. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, cela est bien sûr impossible. Dans leur ensemble, les hommes politiques ne sont  pas meilleurs que nous, les obscurs, les sans-grades ; ils ne sont pas pires, non plus ;  ils sont surtout plus exposés. Et la vérité finit toujours par sortir du puits où l’on croyait l’avoir enfouie.
Le dernier en date à avoir subi ce climat délétère est notre actuel Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Un nom plutôt difficile à porter quand on est membre d’un gouvernement de droite. Certains diraient même que ça sonne faux.  Nous ne reviendrons pas ici sur l’ironie de sa nomination, rue de Valois. Contentons-nous de rester au plus près des mécanismes qui ont abouti à le mettre dans cette inconfortable posture. Il y a d’abord l’affaire Polanski et son soutien chaleureux au cinéaste rattrapé par son sulfureux passé. Qui s’assemble se ressemble : pour le populo et sa nouvelle égérie, Marine Le Pen, ça ne fait pas de doute. Un violeur et un homo (il ne s’en est jamais caché). Entre eux, le trait d’union pourrait bien être la pédophilie, ce vice suprême. Sinon, qu’est-ce qu’il irait faire en Thaïlande, le « neveu » ? Des randonnées sur les îles volcaniques ? Tous des pervers. D’ailleurs, prenez et lisez. Car Frédéric Mitterrand écrit des livres. Pas que des livres sur les étoiles du cinéma mais des récits, de véritables tranches de vie – la sienne – où, dans un style alerte et riche en détails, il révèle complaisamment ses turpitudes personnelles. Non sans une forme de résipiscence, entre délices et regrets, comme autrefois Marcel Jouhandeau et quelques autres de sa « secte ». Un titre comme « La mauvaise vie » ne résonne t’il pas comme une excuse préalable ? Voilà son talon d’Achille. En soi ce n’est pas une faute, mais ça peut être une faiblesse quand on accepte des responsabilités ministérielles. Car sur ce versant Frédéric Mitterrand est, bien sûr, inattaquable. Et pour cause ! Il n’a encore rien fait. Et les calomnies du FN de faire leur bonhomme de chemin, relayées, amplifiées par les porte-voix socialistes. Le voici sur la sellette. Trop, c’est trop ! Il va lui falloir s’expliquer pour endiguer ce torrent de fiel. Où ça ? Sur TF1, bien sûr, la nouvelle « voix de son maître », à l’heure fatidique du JT de 20 heures. Une gageure. Il va d’ailleurs faire mieux que lui en audience. Huit millions de téléspectateurs haletants (j’en étais), les yeux exorbités dans l’attente de sa confession : qui dit mieux ?

Il n’empêche. Devoir faire la preuve de sa bonne foi devant les caméras n’a rien d’un petit exercice de santé. Face à lui, il a pour interlocutrice la grande prêtresse de l’information pré-digérée, Laurence Ferrari elle-même (d’accord, il y a pire en matière d’inquisition). Mais la blonde présentatrice prend très à cœur son nouveau rôle de procureur. Elle n’a pas l’intention de se laisser mener par le bout de son joli nez. Et de revenir plusieurs fois à l’assaut :
« Monsieur Mitterrand, avez-vous eu, oui ou non, des relations tarifiées avec des garçons mineurs ? » 
L’aplomb de Frédéric Mitterrand face à son insistance baveuse force l’admiration. Manifestement, il s’est bien préparé à l’épreuve. L’avocat que fut  son oncle parle en lui. Du grand art. Tour à tour repentant et péremptoire, les yeux baissés ou dominateurs, il entend avec tout le bagout dont il dispose faire la preuve éclatante de sa sincérité. Et montrer, au passage, qui est le maître ici.
« Oui, j’ai eu des rapports tarifiés avec des garçons thaïlandais. Mais c’étaient des hommes sensiblement du même âge que moi. Enfin, Laurence Ferrari, je sais faire la différence entre un boxeur de 40 ans et un jeune adolescent. »
De cela nous n’en doutons point. Au fait, vous en connaissez, vous, des boxeurs de 40 ans qui font la retape ? A Bangkok comme à Paris, les garçons de passe sont, en général, chômeurs ou étudiants. Ils sont peut-être majeurs mais n’ont guère plus de 20 ans. Normal : sur ce marché, les amateurs recherchent avant tout la chair fraîche. La différence est, bien entendu, dans les tarifs pratiqués d’un continent à l’autre.  C’est sans doute de bonne guerre mais la vérité que clame Frédéric Mitterrand, face à Laurence Ferrari et aux téléspectateurs, est néanmoins  mâtinée de mensonge. Ce n’est pas exactement la vérité relatée dans les pages de son récit. Où l’on peut lire sans équivoque, qu’il aime lui aussi la chair fraîche : pas des enfants, non, mais quand même de jeunes hommes. En soi, ce n’est ni mal ni bien. Il est autrement plus navrant – sinon ridicule - de condamner le tourisme sexuel quand on est soi-même client. Conclure un plaidoyer  aussi courageux et brillant par une note aigre de conformisme, quel gâchis! Mais n’est-ce pas ce que l’on appelle vulgairement saisir la balle au bond ? 
Finalement,  quelle morale peut-on tirer de cette affaire assez lamentable ? Sans doute que le vrai scandale n’est pas celui que l’on voulait nous faire croire. Le vrai scandale, c’est la bassesse de la vie politique française, tous partis confondus. Elle ne vaut pas mieux que celle américaine qui, quelques dix années plus tôt, se déchaîna contre un président progressiste, au motif que celui-ci s’était fait tailler une pipe par une stagiaire visiblement énamourée. Le vrai scandale, c’est de juger un homme politique sur ses mœurs (ou sur son allure physique) plutôt que sur son action publique. Mais la France n’est heureusement pas l’Amérique. Le puritanisme y a un terreau moins ancien et moins vivace que le libertinage. Quand tout cela aura refroidi, quand la pâte du soufflet aura retombé, Frédéric Mitterrand regardera peut-être comme une chance la mésaventure qui lui est arrivée. Provoquer une tempête  avec un livre : quel privilège de nos jours ! Encore fallait-il, pour en subir la rançon, disposer déjà d’un capital de notoriété.




Jacques LUCCHESI